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Dix conseils pour conduire le changement


Dali avait une prédilection pour la Gare de Perpignan, le centre du Monde selon lui, fantasque et surréaliste ; il en avait construit toute une représentation et tenait un discours savant à son propos. Ne nous hasardons surtout pas à imiter le génie ; et contentons-nous de juste porter notre regard, attentif et bienveillant, quoiqu’un peu surpris, sur la présente photographie, proposée ci-dessous.




« Ce petit chemin qui sent la noisette … »

Nous sommes loin de toute ville, grande ou moyenne, mais en pleine nature ; d’ailleurs, l’horizon semble barré par quelques sommets qui annoncent la montagne toute proche ; nous sommes dans les abords de la chaine pyrénéenne. Ciel, Perpignan n’est plus loin.


Dans cette vallée du Gave de Pau, du nom du torrent qui baigne cette large vallée, juste avant le rétrécissement de Cauterets (Hautes-Pyrénées), serpente une sorte de route, ou peut-être pas, étonnante, dans ce qu’elle présente des poteaux rouge et vert en son milieu, très régulièrement. Ce peut être certes une route, bien asphaltée pourtant, mais tout est fait pour en entraver l’usage du moins par les voitures.


C’est dans une intersection avec une autre voie que la chose est la plus nette ; là est sise une maisonnette, pas assez grande pour en faire une villa grand luxe, pas assez petite pour un cabanon de jardin. Sa construction est en matériaux durable, et ici, visiblement, elle a fait l’objet d’une restauration, même, d’une modernisation, comme peut en témoigner la magnifique parabole blanche qui auréole sa façade. Non seulement, elle est habitée, mais encore très « high tech ».

Ces quelques observations attentives ne peuvent que nous interroger : une route qui’ n’en est pas une, barrée en son milieu, coupée par une voie médiocre et elle, active, une baraque toute petite mais rénovée ; le monde serait-il fait de « faux semblants », prompts à tromper nos sens ? Descartes est toujours parmi nous ?


Archéologie du paysage rural

Aurons-nous tout deviné en chaussant d’autres lunettes, celle de l’historien, pour décrypter la « route barrée » comme une ancienne voie ferrée, désaffectée depuis les années cinquante, puis démantelée, et enfin reconditionnée pour en faire une magnifique piste cyclable, celle de la « voie verte des Gaves », de Lourdes à Pierrefitte , sur 18 km.


Son tracé somme toute rectiligne, suivant de part en part, le Gave de Lourdes, garde un profil étonnamment plat ou en faux-plat, nécessaire pour le parcours des locomotives d’antan, à la fois rustiques et robustes. Dans le dernier tronçon d’ailleurs, de Pierrefitte à Cauterets, la déclivité devenait forte ; . De sorte que la voie s’engage depuis Lourdes dans une vallée qui se rétrécit peu à peu, dominé par des monts de plus en plus acérés, sans monter. La « barrière » telle que l’envisageaient les peintres et poètes romantiques du XIXème siècle, c’est juste après.


Cette voie ferrée et à vapeur (pas de trace d’électrification du réseau ici !) appartient au très ancien réseau ferré qui a permis de désenclaver les espaces ruraux et semi-montagnard, en jouant le rôle tout à la fois de lien avec les villes prochaines ou plus lointaines (Lourdes, puis Tarbes, puis Toulouse, puis.  Paris), mais aussi de chasse-d’eau permettant la migration temporaire, souvent définitive, de main d’œuvre bon marché vers les foyers industriels et urbains. Elle a vidé peu à peu, mais sûrement la vallée de ses habitants ; nous sommes ici dans une frange de la « diagonale du vide » qui traverse la France de part en part. Cet axe majeur pour la vallée a profondément transformé la vie des hommes et des organisations économiques, et sociales.


Nouveaux usages de la campagne

Mais, la photographie, l’atteste, il n’existe plus. Des infrastructures, en dur, rails et traverses, ballast, gares et entrepôts, matériels roulants et personnels, tout ce qui paraissait inscrit dans le granit et dans le sol semblait durer pour l’éternité. La modernisation du réseau SNCF a abandonné ce tronçon dans les années cinquante ; le démantèlement des voies est plus récent, au moment de la reprise par la communauté de communes, afin d’organiser le projet de piste cyclables, il y a à présent une dizaine d’année. Ce qui a été conçu et utilisé comme voie rapide et pénétrante pour servir la vallée, sera à présent une voie de promenade et de détente pour urbains en mal de verdure.


Nous avons changé de monde manifestement.

Et finalement, à l’échelle d’une génération, assez rapidement aussi.

La petite maisonnette mérite aussi notre attention ; en réinscrivant dans notre lecture la voie, ferrée, nous comprenons mieux le « genre » de la maison ; c’est une construction modeste, destiné à assurer le service de passage de niveau entre la voie ferrée et le chemin rural qui le croise ; c’est la « maison du garde-barrière », avec son petit jardinet ouvrier juste derrière. Construction identique à toute autre maison de garde-barrière en France, elle ne présente rien de typique ou de régional.


La maison de service est manifestement devenue une maison de type résidence secondaire pour quelqu’un de la « ville », en nous référant à la fois au goût très sûr des coloris du crépis de façade et à la superbe installation vidéo. C’est donc non seulement une réaffectation de la fonction, mais aussi un changement de « genre », au fond du fond de la vallée lourdaise.


Le passage à niveau et la barrière de la voie ferrée ont disparu ; et il est amusant de constater qu’à présent, la voie « barrée » est bien l’ancienne voie ferrée asphaltée et non plus l’ancien chemin rural. C’est une inversion historique des réseaux, et des priorités des flux.


Tous les éléments sont là, ils s’imposent à nous, mais nous en avons perdu leur logique propre, ils témoignent d’une histoire, plus ou moins ancienne, d’héritages que nous avons des difficultés encore à lire ; pourtant le présent s’y est fait une petite place, soit en en aménageant les espaces et les fonctions, soit en niant délibérément les usages, pour se mettre en cohérence avec d’autres forces actives par ailleurs (comme ici, l’urbanisation, la tertiarisation, le développement des déplacements automobiles, les flux invisibles).


Transposition en matière de conduite de l’innovation, 10 règles à tester.

Sommes-nous très loin de tout ce qui concerne l’Ecole et son changement, propos de ce blog ? Peut-être ou pas si sûr ? Pouvons-nous proposer quelques enseignements de cette « leçon de choses » ou d’étude de vue paysagère ?


  1. Ce qui peut paraître ancré dans le granit ne l’est vraisemblablement pas.

  2. Les priorités n’en seront pas toujours, d’autres viendront, plus vite qu’on ne pense.

  3. Les changements se font de plus en plus rapidement, à présent à l’échelle de la dizaine d’années, avec accélération du processus.

  4. Nous pouvons assister à des inversions de fonctionnement, voire même de finalités.

  5. Il n’est pas du tout assuré que les changements durables constatés aient été le fait de valeurs assumées, de principes politiques ou d’idéologie portée ; l’observation montre un certain pragmatisme dans l’organisation des choses.

  6. . Les changements ont un impact direct, non seulement sur les personnes, mais aussi sur les installations, les infrastructures, les paysages.

  7. Les leviers du changement peuvent être à la fois proches, mais parfois très lointains, pourtant, les répercussions sont les mêmes.

  8. Les décisions ou initiatives des acteurs, petits ou grands, agissent comme combinatoires, sans forcément de relation directe entre elles ; mais cela a un effet sur les réalisations, productions constatées.

  9. Il y a de l’intérêt à se saisir des différentes analyses et apports des sciences pour mieux comprendre cette complexité.

  10. La vie continue, sans dénoter de catastrophe ou de progrès, qui ne sont que des connotations relatives, si ce n’est subjectives.

Et vous, quelle serait votre « Gare de Perpignan » ?


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