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Le développement professionnel continu des enseignants

 

Des enseignants qui apprennent, ce sont des élèves qui réussissent

Le développement professionnel continu des enseignants comme vecteur de l’amélioration des apprentissages des élèves

 

Depuis vingt ans maintenant, nos systèmes d’éducation sont l’objet d’évaluation comparée ; un message est récurrent ; ce qui marche plutôt mieux pour améliorer les apprentissages, c’est non tant l’organisation des scolarités et l’enrichissement des contenus disciplinaires, numérique ou non (souvent un prisme adopté en France) que le développement professionnel continu (les trois mots font système) des enseignants. Malgré des réalités nationales très fortes et parfois très éloignées les unes des autres, quelques récurrences dans les constats peuvent être retenues.

Le concept
Les enquêtes internationales relèvent l’importance de facteurs pédagogiques propres aux établissements ; par exemple, en appui aux conclusions des enquêtes PIRLS (enquête sur les compétences des élèves en lecture dans le premier degré) et PISA (suivi des acquis des élèves à 15 ans), les résultats peuvent différer en proportion suivant les degrés d’enseignement et donc la structuration des établissements (premier degré : petite taille, équipe restreinte, direction proche ; second degré : grande taille, équipe élargie, direction plus éloignée) D’après l’enquête PIRLS, les facteurs les plus importants pour expliquer la réussite en lecture sont de l’ordre de trois : l’expérience du maître, le climat qui règne dans la classe, le soutien parental. PISA mentionne quatre facteurs complémentaires : le taux d’encadrement,  la formation des enseignants, le moral des enseignants,  le climat de l’établissement.

Ces facteurs renforcent la dimension systémique du métier ; un prof n’est pas tout seul ; il agit dans un véritable éco-système dont il est sujet et acteur ; le fait de considérer son établissement, de s’y sentir bien, et de partager des choses avec des collègues influe sur les pratiques et sur les réussites des élèves. Le concept de « développement professionnel » et les dispositifs qui l’organisent tirent parti de ces constats. Il ne s’agit donc pas de la formation initiale pour laquelle la France entend souvent se limiter.

Dans nombre de pays, une nouvelle conception de la formation des enseignants est apparue sous le nom de « développement professionnel continu ». Jusque-là, les enseignants recevaient une formation sous la forme de conférences suivies d’ateliers souvent peu reliés aux tâches d’enseignement et aux activités d’apprentissage. En France, le débat a toujours été trop focalisé sur l’importance de la formation initiale depuis la création des IUFM jusqu’aux INSPE, en laissant dans l’ombre les 40 ans de vie professionnelle, et la nécessaire « formation continue » jusqu’aux  EAFC plus récemment ;  les critiques ont été vives, de l’aveu des usagers eux-mêmes. Il s’agit ici d’envisager le voyage professionnel tout au long de sa vie d’enseignant.

Ce nouveau paradigme du développement professionnel présente plusieurs caractéristiques:
-    Il s’intéresse au processus complexe d’apprentissage professionnel et à la construction de la compétence par, avec et pour les enseignants en engageant les personnels dans des tâches concrètes de réflexion et d’analyse, d’évaluation des pratiques, d’observation des situations de classe : Il est d’essence constructiviste, c’est-à-dire en rupture avec un mode transmissif.
-    c’est un processus durable et continu, sur le long terme parce qu’il prend acte du fait que les enseignants ont besoin de temps pour apprendre et pour réinvestir leurs nouvelles connaissances et compétences dans leurs pratiques. L’accompagnement et le suivi sont des ressources essentielles pour opérer des changements en profondeur. Il rompt avec l’émiettement et la taylorisation des dispositifs actuels de formation.
-    Le développement professionnel est « situé » : il est mis en oeuvre dans un contexte spécifique : celui de l’unité éducative, lieu des activités quotidiennes des enseignants et des élèves. Les unités éducatives deviennent « formateurs » en s’organisant en communautés d’apprentissage professionnel privilégiant l’enquête sur leurs pratiques sous la forme de groupes d’études, de construction de portfolios, et de dispositifs de recherche action.
-    il s’inscrit dans une politique de mise en œuvre des réformes, et de mise en œuvre efficace de l’obligation de rendre compte ; partant, il devient stratégique parce que collectif : il participe à la construction d’une culture professionnelle, à la définition d’un projet collectif. Le changement n’est plus conçu à la mesure de l’individu-isolat, mais à l’aune d’une équipe sur ses propres objets de travail.
-    L’enseignant est considéré comme un « praticien réflexif » à même d’acquérir des connaissances et compétences puis de les traduire en nouvelles théories et pratiques pédagogiques avec et par la contribution des pairs et des ex-pairs.
-    Le développement professionnel repose sur un processus collaboratif à partir d’interactions entre enseignants mais aussi de relations avec d’autres professionnels ou membres de la communauté éducative, au sein de l’unité éducative comme à l’extérieur.

Les attributs du concept
Un développement professionnel de haute qualité répond à six critères:
•    Soutenu : se déroulant sur une longue période qui dure plus d'une journée.
•    Intensif: se concentrer sur un concept discret, une pratique ou un programme.
•    En direct: se déroulant en temps réel dans la salle de classe ;
•    Collaboratif: impliquant des éducateurs multiples travaillant sur le même concept ou pratique pour obtenir une compréhension partagée.
•    Données axées sur les donnée et sur des informations en temps réel  (besoins des enseignants et de leurs élèves) ;
•    Axé sur la classe: pertinent pour le processus d'enseignement.

Un processus en trois phases
L’amélioration de la réussite des élèves les plus en difficulté dépend de la combinaison entre une analyse documentée des besoins des élèves (entretiens), d’observations croisées et d’une politique de formation continue étayée par la recherche ; ce type de dispositif est d’autant plus efficace qu’il est négocié par les cadres intermédiaires et approprié par des relais internes (accompagnateurs, formateurs, « amis critiques »).

On distingue trois phases :
- un premier temps d’analyse des représentations des enseignants sur les rapports des élèves à l’école, afin de prendre conscience de la connivence socio-culturelle qui favorise ou discrimine en milieu culturel ; les recueils et entretiens avec les élèves sont déterminants ici.
- il s’agit ensuite d’engager les enseignants à penser les gestes professionnels qui favorisent tous les élèves à entrer dans la culture scolaire, en s’appuyant sur les narrations des élèves. Deux domaines sont identifiés : d’une part les interactions entre professeur et élèves, d’autre part les relations.
- la troisième étape se déroule tout au long de l’année dans les écoles et établissements, par des observations dans les classes, avec un « facilitateur », une fois dans le trimestre ; l’objectif est co-déterminé par l’enseignant et l’observateur ; parallèlement, se met en place, un « shadow coaching ». aller dans la classe de l’autre, observer un autre collègue, pour prendre de l’information. Chaque observation est suivie d’une analyse, puis régulièrement d’une séance d’analyse collective centrée autour des élèves à soutenir plus particulièrement. L’établissement dispose de quelques facilitateurs, parfois une personne entièrement dédiée à l’observation. L’équipe concernée se réunit toutes les semaines sur une heure dite de développement professionnel.

Ce type de dispositif convient terme à terme dans le cadre d’une liaison école-collège renforcée par un groupe de supervision des pratiques professionnelles, associant des temps formels (formation institutionnelle) et des temps plus individuels (aller dans une autre classe), entretiens à deux. C’est très économique en moyens et efficace dans ses effets, si c’est accompagné par des « conseillers pédagogiques » ou formateurs eux-mêmes formés par la recherche. C’est une des conditions pour que cela fonctionne (mieux).

Des conditions pour que cela marche
L’organisation pourrait ne pas sembler « nouvelle » (est-ce le propos ?), mais la différence réside dans les manières et le recentrage sur les apprentissages… des élèves. Quels sont  les caractéristiques d’un développement professionnel efficace ?

    Les ateliers : une grande part de ces ateliers est décriée, faute de suivi ou de soutien dans la durée. En conséquence les ateliers peuvent être efficaces s’ils ancrent la réflexion sur des pratiques pédagogiques sur des résultats de recherche, s’ils génèrent des expériences actives d’apprentissage parmi les participants, et s’ils offrent aux enseignants des occasions nombreuses d’adapter leurs pratiques pédagogiques aux situations d’apprentissage en classe.

    Le recours à des experts extérieurs : des améliorations sont repérables lorsque des rencontres régulières sont organisées dans chaque unité éducative afin d’explorer des problèmes communs et chercher des solutions fondées sur une expérience partagée et une vision collective. Toutefois, le risque est grand que les membres de l’école s’appuient sur des résultats et des dispositifs qu’ils jugent bon pour eux en écartant certaines connaissances scientifiques pourtant indispensables.
Il est donc nécessaire de recourir à des experts extérieurs qui puissent leur présenter des idées nouvelles en facilitant la mise en œuvre d’un changement de pratiques pédagogiques.

    Le temps : Les enseignants ont besoin de temps pour approfondir leur compréhension et leurs connaissances, analyser le travail des élèves, et développer de nouvelles approches pédagogiques. les programmes de développement professionnel supérieurs à 30 heures sont plus efficaces que les autres à condition qu’ils soient bien structurés, clairs dans leurs objectifs, et centrés sur les contenus scolaires et la pédagogie. En Ecosse, tous les enseignants bénéficient de 35 heures de développement professionnel par an sur une base contractuelle. Chaque enseignant dresse un programme de développement professionnel pour l’année puis le discute avec son responsable hiérarchique. Il doit aussi concevoir un portfolio. Ces 35 heures par an s’ajoutent aux cinq journées accordées aux enseignants pour d’autres activités de développement professionnel dans l’unité éducative en l’absence des élèves. Un cadre national composé de standards définit les connaissances et les compétences à acquérir.

    L’accompagnement et le suivi : le suivi et l’assistance des enseignants en temps réel comme sur leur lieu de travail conduit à une amélioration significative des résultats des élèves.  C’est sans doute le talon d’Achille dans notre propre organisation des métiers de l’éducation.

    Les « bonnes pratiques » : Le développement professionnel le plus efficace se détermine non par la mise en œuvre d’une série de « bonnes pratiques » mais plutôt par une adaptation prudente d’une variété de pratiques en fonction du contexte.  Les facteurs d’efficacité en formation d’enseignants ne résident pas tant dans l’organisation de tel ou tel dispositif, mais plus finement dans des manières dont le ou les dispositifs sont transposés avec intelligence (analyse, compréhension, innovation) et mis en œuvre, en particulier la manière dont ils sont articulés aux apprentissages des élèves d’une part, et d’autre part à la dimension participative et coopérative des pratiques de formation.


Cinq modalités de développement professionnel centré sur l'enseignant
En rupture avec ce modèle de la formation continue, le développement professionnel est un processus de long terme offrant des occasions régulières et variées de contacts et d’apprentissage avec les collègues. Il donne lieu à une programmation des activités de formation partant des besoins et des problèmes rencontrés par les enseignants dans leur travail au quotidien. Il rend compte de la manière dont les enseignants sont confrontés à diverses expériences les amenant à étudier systématiquement leur enseignement.  Quels sont les modèles de développement professionnel centré sur l'enseignant? Quelles sont les alternatives au duopole des ateliers et à l'approche en cascade? Dans une visée de sobriété économique souhaitée.

1. Observation / évaluation
Dans ce mode, un maître enseignant dans une école, un spécialiste, peut-être un collègue enseignant très expérimenté  observe les enseignants dans leur salle  de classe, évalue leurs pratiques pédagogiques et fournit une rétroaction structurée. Ce mode peut être utilisé comme mesure de soutien après des ateliers ou périodiquement tout au long de l'année scolaire en tant que forme de coaching par les pairs  Un simple observateur qualifié peut fournir un aperçu visuel immédiat de la performance d'un enseignant. Ce ne peut être le seul mode.

2. Salles de classe ouvertes    
Les enseignants expriment un sentiment d’isolement et veulent voir d'autres enseignants en action. Dans un mode de salle de classe ouverte, les enseignants créent des cours et invitent leurs collègues à observer la leçon et à fournir des commentaires dans une séance post-observation. L'objectif de la classe ouverte est le comportement des enseignants. Lorsque l'observation est suivie d'une discussion structurée et d'un partage de l'information, en observant des collègues plus expérimentés en action, cela profite aux deux parties: ceux qui dirigent la leçon et ceux qui observent.

3. Étude de leçon
L'étude des leçons est une forme de développement professionnel bien étudiée et très réussie,  si les enseignants disposent du temps, du soutien, des ressources et de la facilitation nécessaires pour en faire un succès. Le programme d'études du Japon se concentre en profondeur sur moins de sujets curriculaires et la culture éducative japonaise a une longue tradition d'observateurs extérieurs dans les salles de classe. Dans l'étude de la leçon, les enseignants planifient, développent ou améliorent une leçon en collaboration; tester sur le terrain la leçon dans une salle de classe; observez-le; faire des changements; et collecter des données pour voir l'impact de la leçon sur l'apprentissage des élèves. Cela se produit généralement sur une période de plusieurs mois.
Cependant, il y a un obstacle de taille: extrêmement complet, se concentrant sur tous les aspects de l'enseignement, il demande donc beaucoup de temps et de ressources. Il exige que les enseignants possèdent des compétences de base dans tous les aspects de l'enseignement. Que les animateurs de perfectionnement professionnel soient compétents dans un éventail de domaines (contenu, conception pédagogique, connaissance des modèles d'enseignement et d'évaluation).

4. Groupes d'étude – Cela peut s’apparenter aux « constellations » mises en place en France.
Les enseignants bénéficient de discussions formelles et d'interactions avec leurs pairs autour de problèmes critiques. Dans les groupes d'étude, les enseignants collaborent, en un seul grand groupe ou en petites équipes, pour étudier un problème particulier dans le but de résoudre un problème commun ou de créer et mettre en œuvre un plan pour atteindre un objectif commun. L'étude - la lecture, la discussion, l'écriture et la réflexion, menée par un animateur qualifié - est l'élément clé d'un groupe d'étude. Au cours du processus d'étude, ils peuvent utiliser des ressources imprimées, du matériel pédagogique (tel que le travail créé par les élèves) et leurs expériences dans le cadre de leur approche du problème.

5. Regard sur le travail des élèves
C’est un mode d'auto-apprentissage collaboratif et d'évaluation formative qui se concentre sur l'examen du travail des élèves et l'évaluation de la façon dont l'enseignant a conçu l'activité en question.  Rapprocher la façon dont les élèves apprennent et comment la leçon a été conçue, puis restructurer les leçons en fonction de cette information est un élément clé.   Ce type de développement professionnel utilise des protocoles hautement structurés qui rendent l'examen du travail de l'élève non menaçant et l'empêchent de se concentrer sur ce que l'enseignant a fait ou n'a pas fait et sur la preuve de l'apprentissage de l'élève.

Les limites
Inscrire le développement professionnel continu des enseignants comme levier dans un vieux système éducatif à la française nécessite des évolutions significatives dans la gouvernance et la vision pour que cela « marche », d’après les leçons tirées des expériences internationales ; pour résumer, il ne suffit pas de changer un mot dans un BO en 2013 pour que la réalité s’améliore (significativement) :
-    Que l’école passe du tri sélectif des élèves à la focalisation sur les apprentissages pour tous les élèves ;
-    Que le « rendre compte » (cela concerne l’évaluation des enseignants) passe d’une application surveillée des règles fondée sur l’autonomie individuelle à des modalités de régulation interne, située, collégiale et focalisée sur l’amélioration des résultats des élèves ;
-    Que l’innovation passe de « faire plus et si on veut » à une enquête documentée, régulée et accompagnée, impliquant le plus grand nombre dans une école ;

Ce changement de paradigme prend et prendra du temps car il impacte profondément les organisations, celle de l’école, les routines professionnelles, celle des organismes de formation et les métiers qui encadrent les enseignants : les directions, les formations, les inspections.

L’investissement dans la formation continue reste encore le plus puissant des leviers du changement en éducation, et cela passe obligatoirement par la formation des formateurs et des cadres ; à la lumière des choix politiques, stratégiques, financiers dans les académies, le sait-on, le peut-on ou le veut-on ?



Conclusion
Pour éviter de « changer tout pour que rien ne change », il faut plutôt relire Thackerey (Vanity Fair) et ne « changer que ce qui peut être changer ». C’est d’abord une dynamique collective et systémique ; elle ne peut être individualiste, qui forcerait à avoir des bons et donc des mauvais. L’enjeu est capital pour les prochaines années pourt faire réussir au mieux tous les élèves. La question du bon prof pourrait alors se transformer en « qu’est-ce qu’un bon établissement ? ». Il n’est pas ou plus souhaitable de renvoyer la qualité professionnelle aux seuls individus en faisant abstraction du cadre de son travail et des interactions avec les autres personnels, direction comprise. C’est sans doute à cette échelle que les améliorations des pratiques pourront se jauger.
 

 

Voir aussi

sur notre blog, les posts consacrés à l'accompagnement

Nipedu 83, une heure d'entretien sur les questions de la formation des enseignants et sur l'auteur (août 2017).

Textes et ressources vidéo complémentaires sont visibles ici

Diapositive1.JPG

Un bloc-notes pour vous accompagner dans votre développement professionnel.

 

Il rassemble plusieurs sections :

  • Des invitations à formaliser votre réflexion ;

  • Des ressources pour enrichir votre action ;

  • Des autotests pour vous situer dans votre parcours ;

sortie de crise_edited.jpg

Sortie de crise ? Comment l'Ecole se transforme dans, par et malgré la crise Covid.

accompagnement et développement professionnel, la suite
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