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Le paradoxe d’Abraham, l’hospitalité nécessaire

Comment pourrait-on oublier, dans nos pays, pour nos activités, et même nos enseignements, l’image, le souvenir poignant, d’Abraham, l’homme non défensif, qui sait ce que sont des étrangers et qui sait les accueillir dans l’héroïcité. C’est ce que nous rappelle la fameuse affaire, fondamentale et centrale, des chênes de Mambré[1].


L'hospitalité d'Abraham au Chêne de Mambré  -  Η Φιλοξενία του Αβρααμ (gr.)

• Icône grecque traditionnelle• Tempera à l'oeuf sur bois, dorure à la feuille d'or 30 x 40 cm

 

Trois voyageurs inconnus se présentent : Abraham se précipite à leur rencontre, il se prosterne devant eux. « Qu’on apporte un peu d’eau, dit-il, vous vous laverez les pieds et vous vous étendrez sous l’arbre. Que j’aille chercher un morceau de pain, et vous vous réconforterez le cœur avant d’aller plus loin. C’est bien pour cela que vous êtes passés près de votre serviteur. »


Ils les considère comme étant supérieurs à lui-même, au moins égaux à lui. Il les considère dans sa foi comme étant les représentants de Dieu, les « anges de Dieu ». Et, de fait, la tradition nous dit bien, avec la Genèse, que c’était Dieu lui-même qui était venu, authentifiant l’héroïcité dans l’hospitalité.


Car ces étrangers, qui auraient pu être redoutables dans des pays qui n’étaient pas toujours en tranquillité, accueillis par Abraham et Sarah comme des visiteurs insignes, voilà qu’ils apportent le bon message, la bonne nouvelle : Isaac va naître, alors que toute espérance n’était plus.

mosaïque de la cathédrale de Monreale (Sicile) entre 1176 et 1189  


Une fécondité spirituelle et vivante est aussi acquise à celui qui accepte autrui dans sa totalité, et qui n’a pas cherché à l’influencer, à le rendre petitement conforme à soi, à le rendre confortablement identique, non plus qu’à lui vendre la pacotille de ses objets de passion ou de piété, mais qui aura simplement cherché à être devant lui, aussi complètement, aussi héroïquement  que possible, quelqu’un qui entend, quelqu’un qui écoute et reçoit…

 

Et comment oublierait-on autour de l’image d’Abraham, cet autre enfant, Ismaël, dont on sait le destin tragique, mais dont le nom signifie précisément : Dieu entend, Dieu écoute ?


Abraham, grâce à l’héroïcité dans l’accueil, a pu essayer aussi de sauver Sodome, cité des pécheurs. Il lui fut accordé alors, par son Hôte insigne, le poids de dix justes pour sauver Sodome. Il n’en fut pas ainsi, mais c’est alors que nous voyons apparaître ce que nous appellerons le paradoxe d’Abraham.

 

 Ce paradoxe rappellerait s’il en était besoin qu’aucune attitude en matière de communication ne peut être simplifiée : elle est toujours une conduite difficile, faite d’équilibres subtils.


Et le paradoxe d’Abraham, c’est vraiment le paradoxe profond du croyant aussi bien que de l’humaniste ; en même temps qu’il considère tout « autre », n’importe quel voyageur, n’importe quel inconnu, n’importe quel étranger, comme sacré, et ceci est encore revécu dans les tribus musulmanes fidèles à Abraham, Abraham ne perd ou n’altère aucune de ses valeurs spirituelles propres.

 

Accepter totalement autrui, et pourtant, être totalement soi-même : c’est le paradoxe de la communication. Car c’est dans la mesure où une personne n’est pas en situation défensive vis-à-vis d’autrui et où elle n’est pas en situation défensive vis-à-vis d’aucune des parts d’elle-même, mais vivant profondément ses valeurs personnelles, qu’elle peut accepter qu’autrui vive aussi profondément ses valeurs propres ; et, dans cette relation, un échange profond s’effectue[2], confirmant chacun d’eux dans ce qu’il y a de sincère et de profond, au cœur de sa personne.

 

 

L’hospitalité est toujours actuelle.

 Une telle image, un tel souvenir, un tel paradoxe peuvent-ils garder quelque actualité pour nous, enseignants, aujourd’hui ? On peut le penser et le souhaiter. Face aux nouveautés à accueillir, aux évolutions à consentir sans rien perdre des richesses transmises.


Car ce que nous montre l’image exemplaire d’Abraham dans la rectitude de sa fidélité à sa tradition, c’est qu’il est tellement sûr de lui que le contact avec l’étranger ne le trouble pas, Il est en état de l’accueillir ses idées, sans se sentir agressé. La force de sa confiance dans tout ce qu’il a construit en lui est tel qu’il est accueillant pour l’autre. Il l’est d’autant plus qu’il est d’autant plus lui-même. C’est un paradoxe, une rencontre en dialogique, selon le concept d’Edgar Morin.[3]

 

Cette réflexion sur l’hospitalité assurée à l’étranger au Nouveau peut nous inspirer à poser des problèmes de changement et de modernisation. Le symbolisme lié à Abraham peut en effet encourager à interrompre l’inepte combat entre ceux qui défendent ce qui a été fait et ceux qui voudraient des évolutions sans passé : on ne peut faire l’accueil de l’avenir qu’en se fondant toujours sur le passé et l’accueil du passé . C’est ce que nous démontre actuellement la réhabilitation du patrimoine et des réalités monumentales : on acculture un moment pour ce qu’il est dans sa structure ancienne, respectueuse, en vue de le conformer à des usages plus modernes. C’est bien la réalité d’adaptation.

Le chanter se poursuit à Notre Dame de Paris. © Getty 

 

A l’adresse d’amis sénégalais en visite en France, on a pu convenir ensemble que le Coran n’est pas statique, mais que c’est sur son inspiration que doit jaillir des idées nouvelles. La défense frénétique d’un passé est un signe de manque de confiance, de crainte, et non de force, ni de stabilité. Et l’exigence acquise, loin d nous attiédir ou attrister, peut nous donner davantage d’espérance et d’enthousiasme : ce qui est ancien ouvre à ce qui est vraiment neuf.

 

 La musique du jour


 

extrait de


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[1] Genèse 18,1-5 : 1 Le SEIGNEUR apparut à Abraham aux chênes de Mamré alors qu'il était assis à l'entrée de la tente dans la pleine chaleur du jour. 2 Il leva les yeux et aperçut trois hommes debout près de lui. A leur vue il courut de l'entrée de la tente à leur rencontre, se prosterna à terre. 3 et dit: " Mon Seigneur, si j'ai pu trouver grâce à tes yeux, veuille ne pas passer loin de ton serviteur. 4 Qu'on apporte un peu d'eau pour vous laver les pieds, et reposez-vous sous cet arbre. 5 Je vais apporter un morceau de pain pour vous réconforter avant que vous alliez plus loin, puisque vous êtes passés près de votre serviteur. " Ils répondirent : " Fais comme tu l'as dit. " Traduction Oecuménique de la Bible, Editions de Cerf

[2] André de Peretti, Liberté et relations humaines, éd. EPI, Paris, 1967, p.168 sq

Repris dans Techniques pour communiquer dans une meilleure présentation.

En complément,  Ada Abraham (dir.), L'enseignant est une personne, Paris, ESF, 1984.

[3]  Sur la pensée dialogique : voici ce qu’écrit Edgar Morin dans le vocabulaire de son ouvrage, la méthode 6 Ethique, éd. Seuil, Paris, 2004, p. 234. « Unité complexe entre deux logiques, entités ou instances complémentaires, concurrentes et antagonistes qui se nourrissent l’une de l’autre, se complètent, mais aussi s’opposent et se combattent. A distinguer de la dialectique hégélienne. »

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