Rejouons-nous au "Village" en éducation ?
Le Village (The Village) est un film américain réalisé, coproduit et écrit par M. Night Shyamalan, sorti en 2004. Le film raconte l'histoire d'une petite communauté aux sombres secrets qui vit dans la peur de mystérieuses créatures. En Pennsylvanie, une petite communauté du 19e siècle vit isolée de tout. Ses membres ont la terrifiante certitude que des créatures anciennes peuplent les bois environnants : « Ceux dont on ne parle pas » (« Those we don't speak of »). Ils ne doivent jamais franchir les limites du village.
Le jeune héros s’aventure à la frontière du village et pénètre dans les bois. Ce geste est perçu comme un affront par « Ceux dont on ne parle pas ». En réponse à cette violation de la trève, des événements inquiétants commencent à se produire : des animaux sont retrouvés écorchés vifs, et des griffures rouges apparaissent sur les portes et les murs des maisons. Une nuit, les créatures pénètrent dans le village, enveloppées dans leurs robes rouges sinistres, et provoquent la panique parmi les habitants. Ce raid semble être une réponse directe à la rébellion de Lucius, qui exprime ses profonds regrets.
La parabole du "village" peut aisément se transposer dans notre éducation, qui n'est pas autre chose qu'un grand village, avec son organisation des "anciens", ses jeunes, ses valeurs et ses non-dits aussi. Il est des mots qu'on ne prononce pas dans une école, un collège ou un lycée, sous peine de s'attirer le mauvais sorts ou de provoquer un malheur; "innovation" est de ces mots. La réclusion est consentie et les questions demeurent. Pourtant, un "ailleurs" existe; serait-il terrifiant ?
Des définitions par dizaines sur le même sujet
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L'innovation en une approche détourée, la méta-analyse
Certains font des thèses à partir de l'analyse de trois dispositifs, nous avons priviégié une autre méthode qui a fait ses preuves, par la méta-analyse de plus de 6500 actions et dispositifs repérés comme "innovants" et documentés dans une base nationale (Expérithèque, entre 2012 et 2018, alors accessible en ligne grand public, depuis, cela a beaucoup changé).
La gestion des data permet de détourer à la manière d'une découpe d'image les différents processus à l'oeuvre, les marqueurs souvent invisibles et les effets des enseignants sur le terrain. La grille d'analyse a été détaillée dans l'ouvrage paru en 2012, L'innovation, une histoire du changement en éducation, éd. Sceren.
Pour identifier une "innovation pédagogique", il faut observer plusieurs éléments, signes, traces, actions ou productions. L’innovation pédagogique est un processus qui vise à améliorer l’apprentissage des élèves et l’organisation de l’école. Voici quelques indicateurs :
Du côté des élèves:
Enrichissement des connaissances et des compétences : L’innovation pédagogique vise à améliorer les acquis des élèves, et à les rendre plus visibles
Coopération et travail en groupe : Les élèves sont encouragés à travailler ensemble, à partager leurs idées et à s’entraider.
Expérimentation et prise de risque : Les élèves sont encouragés à essayer de nouvelles choses, à sortir de leur zone de confort et à apprendre de leurs erreurs.
Engagement et motivation : Les élèves sont plus impliqués dans leurs apprentissages et plus motivés pour réussir.
Réflexivité et analyse des pratiques : Les élèves sont encouragés à réfléchir à leurs apprentissages et à identifier leurs points forts et leurs points faibles.
Du côté des enseignants:
Développement professionnel continu : Les enseignants s’engagent dans une démarche de formation continue pour améliorer leurs pratiques.
Collaboration et travail en équipe : Les enseignants travaillent ensemble pour concevoir et mettre en œuvre des projets innovants.
Créativité et expérimentation : Les enseignants essaient de nouvelles approches pédagogiques, utilisent de nouveaux outils et conçoivent de nouveaux dispositifs.
Ouverture et partage : Les enseignants partagent leurs expériences, leurs réussites et leurs difficultés avec leurs collègues.
Analyse des pratiques et évaluation : Les enseignants analysent leurs pratiques et évaluent l’impact de leurs innovations sur les apprentissages des élèves.
Au niveau de l’établissement:
Soutien de la direction : La direction de l’établissement encourage et soutient les initiatives des enseignants.
Culture de l’innovation : L’établissement favorise une culture de l’innovation et de l’expérimentation.
Ressources et accompagnement : L’établissement met à disposition des enseignants les ressources nécessaires à la mise en œuvre de leurs projets innovants.
Communication et valorisation : L’établissement communique sur les projets innovants et valorise les réussites des enseignants et des élèves.
Partenariats et ouverture sur l’environnement : L’établissement développe des partenariats avec d’autres établissements, des entreprises, des associations, etc.
L’innovation pédagogique est un processus complexe qui implique tous les acteurs de l’école. Elle se manifeste par une variété de signes, de traces, d’actions et de productions qui témoignent d’une volonté de changement et d’amélioration.
L'innovation, c'est plutôt :
Un processus de changement local, dynamique et évolutif dans le temps, et variable en visibilité (repéré ou non, validé ou non, parfois dérogatoire grâce à l’article L 401-1 du code de l'éducation);
Dans tous les degrés d’enseignement, et pas qu’en collège difficile périurbain (*);
Partout, et pas seulement au nord d’une ligne Le Havre-Marseille (*);
Irréductible à un objet seul, à un produit ou à une technique ou encore à un domaine;
Une fertilisation croisée originale, inédite et parfois inattendue dans un univers scolaire traditionnel (interdisciplinaire, intercatégoriel, partenariat, introduction d’un élément inhabituel etc…), créant du lien entre les connaissances, entre les acteurs (*);
Une exploration de pratiques ou de modalités tendant vers un accompagnement de l’élève dans son parcours d’apprentissage, ou encore privilégiant la différenciation à la remédiation (*);
Un développement d’un ensemble de pratiques relevant de l’évaluation formative (attentes positives, retour sur la pratique, indices structurants, auto-évaluation, exigences élevées) améliorant la qualité de la relation dans la classe;
Des pratiques s’appuyant sur la coopération, la mutualisation, l’entraide, résolution de problèmes, exemples concrets, favorisant le temps réel d’apprentissage et l’implication des élèves (*);
Des pratiques développant l’estime de soi, les droits et les responsabilités des élèves (*);
Ce n’est surtout pas :
Une relégation de certains élèves ou des classes de niveau;
Une prescription institutionnelle;
Une dérégulation du système;
Une manière d’obtenir des moyens en plus sans rien changer;
Une vitrine du projet d’établissement;
La mise en concurrence entre établissements;
Un abaissement des niveaux d’exigence;
Un travail périphérique aux savoirs scolaires;
La chose d’une seule personne;
Une mode avant une autre;
Une organisation sans lien avec les autres systèmes (formation, évaluation);
Et c'est efficace quand :
Une organisation ou une pratique qui permet de recentrer l’activité sur les effets sur les élèves (*);
Une action ou un dispositif qui peut à un moment bousculer l’organisation (groupements, rythmes, espaces etc…) (*);
Il existe un débat collectif et donc une régulation au niveau d’une équipe pour se développer;
Il y a un investissement formel assumé par la direction (régulations, rôles, moyens);
L’équipe se met à fonction en mode de résolution de problèmes;
L’équipe rend visible son activité et accueille une certaine extériorité (partenaires, personnes-ressources, recherches) (*);
Les personnels se font accompagnés dans un dispositif de développement professionnel sur une durée suffisante pour changer (*);
Des rôles ou des responsabilités nouvelles émergent pour structurer le travail (*);
Le travail s’appuie sur des réseaux, en présence et en ligne (*);
Les enseignants enquêtent sur leurs propres pratiques et consultent élèves, parents, partenaires;
Les corps intermédiaires accompagnent, reconnaissent l’engagement des acteurs et valorisent le changement dans une plus grande proximité et dans une relation de confiance.;
D'ailleurs, cela se voit quand on observe :
une amélioration du climat scolaire;
une meilleure cohésion du groupe, un sentiment d’appartenance;
des relations pacifiées dans la classe, un temps retrouvé pour apprendre;
des élèves changent d’attitude vis-à-vis de leur travail, et de l’école. (*);
Une augmentation des résultats des plus faibles sur une durée moyenne.;
L’offre scolaire s’enrichit et se diversifie pour tous les élèves. (*);
Les élèves sont capables d’identifier ce qu’ils ont appris (*);
Les réussites de l’école s’affichent dedans et dehors. (*);
L’équipe parvient à suivre les parcours des élèves, même après la sortie de l’école. (*);
On parle positivement de l’école, de l’établissement;
(*) concerne notamment le numérique
Et il est même envisageable de développer pas à pas une action, selon l'approche que vous souhaitez privilégier:
Des témoins et l'expérience empirique depuis plus de trente ans
Nous avons proposé dix mots, extraits de la méta-analyse de 300 actions dites ou reconnues comme innovantes. Dix mots que nous avons renvoyés aux acteurs de l’éducation, à 10 personnes : des enseignants, des formateurs, des inspecteurs, des élèves, et en résonance, André de Peretti. Leur confrontation en échos permettent de cerner progressivement ce que finalement peut recouvrer l’innovation; des actes, des variations sur un thème.
Retrouvez les dix vidéos (conception et entretien: François Muller, montage et réal. Thierry Foulkes)
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