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Propos de salle de profs ! (malaise 2)

La presse se fait régulièrement (et depuis plusieurs années déjà ) l'écho du « malaise des profs », nous avons eu certains retours écrits, parfois enthousiastes, parfois choqués  mais qui demandaient un peu plus sur le thème.

Nous pouvons proposer deux approfondissements, ou variations,  en la matière, autour de 10 mondes de l’enseignant, mais aussi de 10 mots.


dessin exttrait de https://www.lemonde.fr/blog/uneanneeaulycee/ mars 2024

Les « dix mondes » de l’enseignant

Dans leurs travaux sur les « économies de la grandeur », les sociologues Luc Boltanski et Laurent Thévenot ont répertorié dans notre société six « mondes », l’appartenance à un monde étant déterminé par le type de justification employé par les personnes.


Si on se focalise notre attention sur le milieu enseignant, nous pouvons  y repérer 10 mondes.

A quel monde peut-on attribuer les propos suivants ?

  1. Les enfants ont toujours raison.

  2. Méfions-nous, on cherche à nous nuire.

  3. J’ai tout essayé. On ne peut rien faire.

  4. Chacun fait comme il veut.

  5. A quoi bon ?

  6. Tout cela ne vaut rien. Il faut changer !

  7. Ce n’est pas dans les textes.

  8. L’essentiel, c’est qu’on s’entende bien.

  9. C’était bien mieux autrefois.

  10. On n’a pas les moyen


Parvenir à repérer ces « mondes » en lui, c’est prendre conscience des valeurs qui sont les siennes, c’est affirmer ses convictions pédagogiques. Mais aussi, repérer ces « mondes » chez ses collègues, c’est pouvoir mieux bénéficier de ce que ceux-ci peuvent lui apporter.


Ainsi, au lieu de rester enfermé dans le type de justification qu’il emploie habituellement, il pourra envisager d’abandonner les « bonnes raisons » qu’il se donne habituellement pour ne pas agir. Il s’agit donc d’un outil susceptible de permettre aux enseignants qui le souhaitent de mettre leurs pratiques pédagogiques en accord avec leurs convictions.


En formation d’enseignants, la typologie des justifications peut servir de base à un travail sur l’intérêt de la concertation, de l’échange, en 4 séquences:
  1. s’approprier la notion de « monde » et repérer dans chacun d’eux ce qui fait blocage, ce qui enferme

  2. repérer son ou ses modes de justification habituel.

  3. repérer ces mondes, dans des situations scolaires précises dans lesquelles il y a blocage, donc immobilisme;

  4. dans chacune de ces situations, rechercher ce qui fait obstacle au changement, et étudier comment faire évoluer cette situation de manière constructive.


L’utilisation de « jeux de rôles » peut être envisagée pour les trois dernières séquences. (extrait d’A. de PERETTI, Encyclopédie de l’évaluation… p. 161, Paris, ESF, 1999, rééd. 2009)

Les « dix mots » de l’enseignant

Une fois posée le concept de « monde » ou de système logique que nous évoquions, nous pouvons alors envisager leur déstructuration, leur mise à mal, la recomposition en fonction des évolutions tant externes (mondialisation, internet, comparaisons internationales) qu’interne (démocratisation de l’accès à l’école et au lycée, professionnalisation du métier) . C’est ainsi que Jean-Pierre Astolfi a pu listé par exemple dix mots qui font débat .


Jean-Pierre Astolfi s’inscrit dans le courant de la professionnalisation du métier d’enseignant. Pour montrer les évolutions en cours, il analyse les mots employés dans la profession. Or, on n’arrive pas à stabiliser un vocabulaire spécialisé autour des enseignants. Certes, en créant un vocabulaire spécialisé, on risque de créer un jargon et, en conséquence, de faire de la rétention d’informations, mais il est nécessaire d’employer des mots dont le sens est stabilisé car le vocabulaire courant n’est pas assez précis et oblige à recourir constamment aux périphrases.


JP Astolfi a proposé deux séries de 10 mots, d’un côté les mots courants pour définir les apprentissages, de l’autre, les mots du jargon des sciences de l’éducation. Il a passé chaque couple de mots en revue. Les premiers désignent le fonctionnement classique de l’école, tel que la mémoire sociale et l’imaginaire collectif le perçoivent. Les seconds, plus conformes aux acquis des sciences de l’éducation, indisposent les anti-pédagogues. Ces deux séries de mots renvoient à deux modèles de l’acte d’apprendre, à deux modèles de la profession.


Transmission versus construction
  • La transmission

Ce mot renvoie à un modèle rustique de la communication où les élèves sont dans l’écoute, l’accueil, l’effectuation docile, même si l’enseignant leur demande de « participer ».

Marguerite Altet (Nantes) a étudié de nombreux épisodes didactiques et leur a donné trois types de noms.

  1. 67% sont des épisodes inducteurs : les prises de parole des élèves sont induites par les enseignants.

  2. 27% sont des épisodes médiateurs : l’enseignant s’ajuste davantage aux évolutions de la classe

  3. 5,6% sont des épisodes adaptateurs où l’enseignant accepte de faire évaluer son projet didactique en fonction de l’imprévu.

Dans la transmission, les élèves répondent plus au maître qu’à la question. On leur demande de faire leur « métier d’élève » (expression de Perrenoud) plutôt que de s’atteler aux tâches de cognition.


  • La construction

La constructivisme est un mot-clé du jargon pédagogique L’école est bien le lieu de la transmission générationnelle des savoirs mais c’est une transmission sociale, collective qui n’est pas la somme de transmissions individuelles.

Chaque enfant est soumis à une « obligation d’apprendre » (expression de Charlot) car il naît démuni (à la différence des animaux). L’école est le lieu de la violence symbolique qui permet l’appropriation. Le parcours de l’enfant est plus appropriatif que transmissif.


Instruction/Formation
  • L’instruction

L’apprentissage est envisagé comme si chaque pas de l’explication magistrale correspondait à un pas de compréhension dans la tête de l’élève. Entre le processus « enseigner » et le processus « apprendre », il y aurait une équivalence, le déroulement didactique serait synchrone, l’acte d’apprendre serait le miroir de l’acte d’enseigner. En français, on dit « j’apprends quelque chose aux élèves » mais les autres langues montrent bien la distinction entre les deux processus : en anglais : “teaching” est différent de “learning », en espagnol “aprender » est différent de « ensenar »


Dans le processus « enseigner », on part des bases pour aller vers le complexe. Or c’est tout le contraire dans la tête de l’élève ! C’est le début qui est touffu, difficile, et plus on avance, plus on met de l’ordre.


Chez l’enseignant, pour enseigner la logique de son domaine, tout est présent de manière simultanée. L’expert a en tête l’ensemble des notions et des compétences sans que cela charge sa mémoire. De son point de vue, un réseau arborescent est transformé en parcours linéaire, où des étapes sont découpées, introduisant ainsi de la temporalité dans ce qui est donné d’un coup.


  • La formation

L’instruction renvoie à une succession hiérarchisée d’étapes alors que la formation renvoie à un changement global de la forme. Dans le processus de formation, l’élève doit recomposer la vue d’ensemble en démontant le processus didactique qui a été construit par l’enseignant L’apprentissage nécessite une reconstruction, une remise en réseau, sans en rester au déroulé.


Maître/Médiateur
  • Le maître

Il est  celui qui a l’autorité, même si c’est d’abord le savoir qui est autoritaire. L’enseignant est en position de surplomb par rapport à l’élève mais cela ne peut pas définir en permanence le rapport maître/élève car cela interdirait le dialogue pédagogique.


  • Le médiateur

C’est un terme qui apparaît plus serein car il remplace une relation verticale par une relation horizontale mais en réalité il renvoie à quelque chose de plus complexe car cela implique une démultiplication des postures.


On en compte trois :

– la posture d’intermédiaire où l’enseignant joue le négociateur, l’interface, le diplomate…

– la posture de transition où l’enseignant joue le tampon, le temporisateur en faisant respecter un temps de latence : l’apprentissage se fait dans la durée, il faut savoir ne pas aller trop vite et permettre les constructions progressives

– la posture de coupure. L’idée de la coupure par le milieu renvoie à la figure du castrateur, de la séparation. Grandir et apprendre impliquent la construction d’une distance qui permet de rompre avec les identifications primitives. L’enseignant est aussi celui qui déconstruit la certitude du sens commun.


Le médiateur accompagne et encourage, temporise et donne patience, rompt tout en gardant du lien.


Elève/Apprenant
  • L’élève

Le mot, dans le Littré, renvoie à l’idée de nourrissage, d’élevage, ce qui implique de la passivité face aux soins de l’éleveur. Beaucoup d’élèves sont dans cette posture : ils attendent que « ça passe ». Ils pensent que rien ne dépend d’eux, mais du « maître-jardinier », qu’ils n’ont qu’à être obéissants, à faire leur « métier d’élève ». Le risque de cette position est l’activisme occupationnel, on « occupe » les heures.


  • · L’apprenant

Le terme vient du Québec et voisine avec celui d’entrepreneur. Il souligne qu’il y a quelque chose « à prendre » et que l’appropriation est nécessaire. L’apprentissage suppose une mobilisation cognitive du sujet car apprendre, c’est toujours extraire la pépite (le savoir) de la gangue (les activités).

On a pu observer que les ZEP qui ont de bons résultats s’appuient sur le fait de rendre les élèves apprenants. Il faut se méfier des élèves qui se limitent à l’activité et des pratiques pédagogiques qui se sortent pas des activités.


Programme/Curriculum

Le terme de programme renvoie à l’idée du texte du savoir, tandis que celui de curriculum pose la liberté pédagogique du texte. L’idée de curriculum élargit celle du programme en envisageant, comme chez les Anglais ou les Espagnols, les objectifs, les contenus, les matériels, les démarches, les activités, les évaluations.


Leçon/Dispositif
  • La leçon

Elle suppose une progression qui a été programmée car le maître est celui qui sait, avant les élèves, ce qui adviendra après. Il est le « chono –maître ». Le risque est que la leçon se déroule pour les élèves mais SANS eux !


  • Le dispositif

Ce mot désigne, au sens premier, l’ensemble stratégique de mesures, diversifiées et cohérentes, pour restaurer la maîtrise de quelque chose de compromis. Il s’agit de déposer les savoirs autour du groupe apprenant en laissant le dispositif produire ses effets.

L’enseignant introduit une situation (énigme, ambiguïté, problème…) qui pousse les élèves à l’emparer de la question. Cela s’oppose à l’interventionnisme et doit permettre au professeur de faire un pas de côté pour devenir l’observateur des activités de sa classe, sans occuper la première place. Chaque leçon prend alors un statut d’événement singulier qui ne se reproduit jamais à l’identique.


Notion/Concept 
  • La notion

L’idée de notion est difficile à définir car il n’y a pas de concept de notion ! La notion est ce vers quoi est tendue la leçon, la formulation finale qui relève d’un processus de clôture. La notion est institutionnalisée : le programme se découpe en notions et on contrôle à la fin leur acquisition.


  • Le concept

C’est une ouverture (non une fermeture comme la notion) vers de nouvelles perspectives, vers un nouveau monde. Chaque discipline donne avec ses concepts une certaine saveur au savoir.

Passer de l’idée de notion à celle de concept, c’est passer des savoirs propositionnels (énonçant des contenus, reliés sous une forme linguistique qui résume le savoir) à la connexité des idées.


Mémoire/Cognition

La mémorisation scolaire renvoie aux souvenirs du passé ; il faut se souvenir de ce que l’on a appris. Or, l’effort demandé aux élèves est vaste : il y a, par exemple, 6000 mots nouveaux dans le programme de 6ème dans les manuels. Sur ces 6000 mots nouveaux, les élèves en retiennent environ 2500.


Souvent ce qui pose problème aux élèves, ce n’est pas la cognition, c’est la mémoire. On a souvent l’impression que la mémoire est un préalable à la cognition. Mais les derniers travaux scientifiques de la psychologie cognitive montrent que la forme même de la cognition. La mémoire concerne aussi le futur des apprentissages : elle ne se limite pas au passé, mais elle permet de détecter ce qui est nouveau.


Connaissances / compétences
  • Les connaissances

Le terme renvoie à ce qui s’accumule, se thésaurise, les pré-requis perçus comme statiques, passifs. C’est sur les connaissances que sont évalués les élèves.


  • Les compétences

Pas de définition posée de ce terme. C’est une notion à la mode, utile et importante mais on observe que dans ses usages scolaires le recours à ce mot permet souvent de ne définir que des objectifs opérationnels. Or, l’idée de compétence est plus large, elle permet de saisir les progrès intellectuels majeurs qui s’installent dans le long terme..


Contrôle/Evaluation
  • Le contrôle

Guy Berger a pointé la différence entre contrôle et évaluation. Etymologiquement, le contrôle est le contre-rôle (le double du rôle) qui permet de s’assurer de la conformité d’une mesure. Le mot renvoie à la mesure, l’objectivité de la mesure, au barème.


  • L’évaluation

Etymologiquement le mot renvoie à « valeur ». L’évaluation est un processus d’interaction, de négociation. L’évaluation envoie aux élèves un signal et a une fonction de communication.

L’évaluation balance entre l’estime (comme on navigue à l’estime) et l’estimation (qui peut être précise). On accompagne et encourage la personne de l’élève tout en introduisant la lucidité sur la valeur du « produit » évalué.


Conclusion

Ce renouveau lexical illustre les efforts pour transformer un métier (gamme de routines traditionnelles, gestes du métier connus, savoir-faire stabilisés) en une profession (recherche de solutions optimales, capacité d’adaptation…).

Cette évolution est difficile, elle se fait par à-coups puis connaît des périodes de stagnation,mais elle est nécessaire.


En complément:

Laurence Janot – Bergugnat, Nicole Rascle, Le stress des enseignants, Armand Colin, 2008, 217 p.

« Le stress trouve son origine dans la mutation du système » Laurence Janot –Bergugnat – Nicole Rascle
Maladie ravageuse du corps enseignant, le stress est intrinsèquement lié à la relation didactique et au système éducatif lui-même. L’ouvrage de L. Janot-Bergugnat et N. Rascle a l’intérêt d’aller au-delà du diagnostic et du remède individuel pour poser les bases d’une réponse du système.

Mais alors que peut faire le professeur pour faire diminuer le stress ?

  • connaître ses limites et savoir repérer les manifestations psychophysiologiques du stress pour protéger sa santé ;

  • connaître ses faiblesses qui pourraient le gêner dans son métier;

  • apprendre à développer des stratégies de faire face efficaces et protectrices;

  • rechercher du soutien (les ateliers d’analyse des pratiques sont à ce titre protecteurs);

  • recevoir une formation à ce sujet pour devenir autonome dans la gestion de son stress et prendre en charge sa santé;

  • s’intégrer à des groupes de travail sur les transformations des pratiques;


Ce sont précisément des dispositifs et des séminaires que nous mettons en oeuvre depuis trente ans, ici et ailleurs, dans bien des académies et dans bien des circonstances.


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