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Le développement professionnel, ce n'est pas obligatoire !


"Encore une formation imposée qui ne correspond pas à mes besoins..." soupire Claire, professeure de français en collège depuis douze ans, en découvrant le nouveau plan de formation académique. Cette réaction, combien d'entre nous l'avons eue ? Pourtant, le développement professionnel peut prendre des formes bien différentes, plus proches de nos réalités quotidiennes de classe. « Je me souviens de ce jour où, désemparée face à mes élèves de cinquième qui n'arrivaient pas à comprendre les figures de style, j'ai poussé la porte de la salle de français voisine pour demander conseil à ma collègue Sophie. Cette discussion improvisée s'est transformée en une collaboration enrichissante qui a changé ma façon d'enseigner. C'est là que j'ai compris que le développement professionnel pouvait naître de nos besoins réels, de nos questionnements quotidiens.

 

Le véritable développement professionnel commence lorsqu'un enseignant se pose une question simple : comment puis-je faire autrement pour que mes élèves apprennent mieux ?

Le développement professionnel au quotidien : des pratiques concrètes

Quand la salle des profs devient un laboratoire d'idées

Au collège Georges Brassens de Toulouse, l'histoire a commencé autour de la machine à café. "On passait notre temps à se plaindre des difficultés de nos élèves en lecture", raconte Marc, professeur d'histoire-géographie. "Un jour, on s'est dit : plutôt que de râler, si on essayait de trouver des solutions ensemble ?" Avec quatre collègues de disciplines différentes, ils ont commencé à se retrouver tous les mardis midi, sandwiches en main, pour partager leurs difficultés et leurs réussites.

 

"Au début, c'était informel", poursuit Sarah, professeure de mathématiques. "Puis on a commencé à s'organiser. Chacun amenait des productions d'élèves, des exercices qui avaient bien ou mal fonctionné. On analysait ensemble, on proposait des pistes. Sans s'en rendre compte, on faisait du développement professionnel, mais à notre façon."

 

L'observation entre pairs : dépasser les appréhensions

"Quand ma collègue de SVT m'a proposé de venir observer son cours, j'ai d'abord eu peur d'être jugée", confie Amélie, professeure de physique-chimie dans un lycée parisien. "Mais j'ai vite compris que ce n'était pas du tout ça. On s'observe mutuellement, on échange sur ce qui fonctionne, on s'inspire l'une de l'autre. La semaine dernière, j'ai adapté une de ses techniques de travail en groupe pour mes TP de chimie. Les élèves étaient beaucoup plus impliqués."

 

Cette pratique, inspirée du "lesson study" japonais, se développe doucement en France. Au lycée professionnel Jean Moulin de Roubaix, une équipe d'enseignants a même créé un planning d'observation mutuelle : chaque professeur volontaire peut assister au cours d'un collègue une fois par mois.

 

Le numérique comme accélérateur d'échanges

La période du Covid a paradoxalement créé de nouvelles opportunités. À Nice, un groupe d'enseignants de collège a maintenu leurs échanges via WhatsApp. "On partage nos trouvailles, nos difficultés, nos questions", explique Thomas, professeur d'anglais. "L'autre jour, j'ai posté une activité qui avait super bien marché avec mes sixièmes. Deux collègues l'ont adaptée pour leurs classes dès le lendemain."

 

S'inspirer des pratiques internationales en les adaptant à notre contexte

La Finlande : du temps pour échanger

En Finlande, les enseignants disposent de temps dédiés aux échanges professionnels. "Ça fait rêver", admet Julie, professeure des écoles à Nantes. "Mais on n'a pas attendu d'avoir ce temps officiel. Avec mes collègues, on arrive une demi-heure plus tôt le jeudi matin. On prend un café ensemble et on parle de nos classes, de nos élèves en difficulté, de ce qui marche ou pas."

 

Cette initiative simple montre qu'il est possible de s'inspirer des modèles étrangers en les adaptant à notre réalité. John Hattie, chercheur reconnu en éducation, confirme que "les échanges informels entre enseignants peuvent avoir autant d'impact que les formations structurées, à condition qu'ils soient réguliers et centrés sur les apprentissages des élèves."

 

L'Estonie : le numérique au service de la collaboration

En Estonie, les enseignants utilisent massivement les outils numériques pour collaborer. Au collège Victor Hugo de Lyon, une équipe s'en est inspirée : "On a créé un drive partagé où chacun dépose ses séquences, ses évaluations", explique Karim, professeur de technologie. "Ce n'est pas pour copier-coller, mais pour s'inspirer, adapter, améliorer. La semaine dernière, j'ai repris une évaluation de ma collègue de maths pour travailler les proportions en technologie. Les élèves ont fait le lien entre les disciplines."

 

Le Japon : observer pour progresser

"Quand j'ai lu un article sur les 'lesson study' japonaises, je me suis dit que c'était impossible chez nous", raconte Patricia, professeure de français dans un collège REP+ de Marseille. "Et puis on a commencé, à trois collègues, à s'observer mutuellement. On filme nos séances, on les analyse ensemble. Ça prend du temps, mais ça vaut vraiment le coup. J'ai complètement changé ma façon de gérer les travaux de groupe."

 

Construire son propre parcours de développement professionnel

L’équipe LIFE[1]  en  Suisse rappelle utilement que pour que quelque chose dans l’école, cela se fait avec … les enseignants :

1. aucun changement ne se produit si l'on ne tient pas compte des caractéristiques particulières de l'école et du milieu qui l'entoure;

2. les enseignants ne prendront aucun intérêt personnel au changement (y compris à l'évaluation) s'ils ne sont pas associés aux décisions qui concernent les objectifs et les démarches adoptées;

3. une école efficace se caractérise par le fait que le mouvement est commun à l'établissement tout entier, qu'il existe un ensemble d'objectifs unanimement partagés et une méthode d'enseignement unifiée;

4. dès qu'un effort de planification incite le corps enseignant à prendre conscience de la situation et à y réfléchir, les chances sont beaucoup plus grandes que le personnel modifie son comportement et ses attitudes.

 

Identifier ses besoins réels

Helen Timperley, chercheuse néo-zélandaise, insiste sur l'importance de "partir des problèmes concrets rencontrés en classe". C'est ce qu'a fait Mehdi, professeur d'histoire-géographie : "J'avais du mal avec l'analyse de documents en troisième. Au lieu d'attendre une hypothétique formation, j'ai demandé à ma collègue plus expérimentée de m'aider. On a construit ensemble une progression, elle m'a donné des conseils pratiques. Mes élèves progressent bien mieux maintenant."

 

Créer des opportunités d'échange

Au lycée Voltaire d'Orléans, les enseignants ont transformé la contrainte des heures de permanence en opportunité. "On s'est arrangés pour avoir des heures communes", explique Sylvie, professeure de SES. "Pendant que nos élèves sont en contrôle ou en autonomie, on en profite pour travailler ensemble sur nos progressions, nos évaluations. C'est du temps gagné et c'est beaucoup plus efficace que de travailler seul."

 

Mesurer l'impact sur les élèves

"Au début, on ne savait pas si notre travail collaboratif servait à quelque chose", témoigne Laurent, professeur de mathématiques en ZEP. "Alors on a mis en place un système simple : chaque semaine, on note les progrès et les difficultés de nos élèves dans un carnet partagé. Ça nous permet de voir si nos nouvelles approches fonctionnent vraiment."

 

Cette démarche rejoint les recommandations de François Muller : "Le développement professionnel n'a de sens que s'il améliore concrètement les apprentissages des élèves. Il faut savoir observer et mesurer ces progrès, même modestes."

 

Conclusion

Le développement professionnel n'est pas une série de formations obligatoires à subir, c'est une démarche personnelle et collective qui part de nos besoins réels de classe. Comme le résume Maria, professeure de lettres : "J'ai arrêté d'attendre la formation parfaite. Avec mes collègues, on avance pas à pas, on essaie des choses, on partage, on ajuste. C'est ça, le vrai développement professionnel."

 

Les exemples présentés, qu'ils viennent de France ou d'ailleurs[2], montrent qu'il est possible de se développer professionnellement sans attendre des dispositifs institutionnels. L'important est de partir de ses besoins réels, de s'appuyer sur la collaboration entre pairs et de garder toujours en tête l'objectif final : la réussite de nos élèves. Car au fond, comme le dit Helen Timperley, "le meilleur développement professionnel est celui qui répond à la question : qu'est-ce que mes élèves ont besoin que j'apprenne pour mieux les faire progresser ?"


[1] L'efficacité des établissements  ne se mesure pas : elle se construit,  se négocie, se pratique et se vit,  Monica Gather Thurler, In : M. Crahay (dir.) Problématique et méthodologie de l'évaluation des établissements de formation, Bruxelles : De Boeck, pp. 203 – 224, http://www.unige.ch/fapse/SSE/teachers/gather-thurler/Textes/Textes%201994/MGT-1994-01.html 

[2] Sources et références bibliographiques : développement professionnel :  Hattie, J. (2009). Visible Learning: A synthesis of over 800 meta-analyses relating to achievement. Routledge. - Timperley, H. (2011). Realizing the Power of Professional Learning. Open University Press. - Muller, F. (2021). Le manuel de survie à l’usage de l’enseignant », 7ème éd, L’Opportun - pratiques collaboratives :   Miyakawa, T., & Winsløw, C. (2019). Lesson Study in Japan: Theory and Practice*. Springer. - Articles de recherche :  Sahlberg, P. (2021). "Finnish Lessons 3.0: What Can the World Learn from Educational Change in Finland?" Teachers College Press. - Hargreaves, A., & O'Connor, M. T. (2018). "Leading collaborative professionalism". Journal of Professional Capital and Community, 3(4), 159-172. - contexte français :  Ria, L. (2019). "Former les enseignants : pour un développement professionnel fondé sur les pratiques de classe". Revue française de pédagogie, 164, 55-69. - Gather Thurler, M. (2020). "Transformer l'école : de la formation continue au développement professionnel des enseignants". Education et formation, e-315. - Rapports institutionnels : OCDE. (2023). "Supporting Teacher Learning: International Perspectives". TALIS 2022 Results (Volume II). - European Commission/EACEA/Eurydice. (2021). "Teachers in Europe: Careers, Development and Well-being". - Inspection générale de l'éducation nationale. (2022). "La formation continue des enseignants". - Éduscol. (2023). "Le développement professionnel des enseignants". - Institut français de l'éducation. (2023). "NéoPass@ction". - Muller, F. (2023)., blog   - Développement professionnel".


Ce post est extrait d'une série de 20 textes sur les idées reçues en développement professionnel et surtout les dépasser. voir ici


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