extrait de https://www.artshebdomedias.com/article/180512-pierre-soulages-lausanne-le-noir-transmute/
Le développement professionnel des enseignants constitue aujourd'hui un enjeu majeur pour l'amélioration des systèmes éducatifs à travers le monde. Pourtant, nombreux sont les professeurs qui, tout en reconnaissant son importance, peinent à s'engager concrètement dans cette démarche, faute de temps, de moyens ou de vision claire sur la façon de procéder. Cette apparente contradiction mérite d'être explorée en profondeur, car elle masque des opportunités réelles de progression, accessibles à chaque enseignant dans son contexte spécifique.
Le développement professionnel n'est pas une option mais une nécessité dans un monde où les savoirs et les pratiques évoluent constamment. Cette évolution permanente exige une adaptation continue des compétences et des approches pédagogiques, non pas comme un fardeau supplémentaire, mais comme un levier d'amélioration de l'efficacité enseignante et, in fine, des apprentissages des élèves.
Les recherches internationales démontrent que l'impact du développement professionnel sur les résultats des élèves peut être considérable. John Hattie, dans ses méta-analyses, a établi que les pratiques de développement professionnel bien conçues peuvent avoir une taille d'effet de 0,51 sur les apprentissages des élèves, ce qui est significativement supérieur à de nombreuses autres interventions éducatives.
Le développement professionnel : un concept multidimensionnel ancré dans la réalité du terrain
Les différentes formes du développement professionnel
Le développement professionnel ne se limite pas aux formations traditionnelles. En Finlande, par exemple, les enseignants consacrent environ 40 heures par an à l'observation mutuelle de leurs pratiques. Ces observations sont structurées autour de protocoles précis : l'enseignant observé définit en amont les points sur lesquels il souhaite recevoir un retour, et l'observateur utilise une grille d'observation co-construite. Les retours d'expérience montrent que cette pratique a permis d'améliorer significativement la différenciation pédagogique et la gestion de classe.
En Estonie, le système éducatif a développé une plateforme numérique innovante appelée "DigiPro" qui permet aux enseignants de suivre des parcours de formation personnalisés. Les enseignants peuvent, par exemple, filmer leurs séances, les partager avec leurs mentors à distance, et recevoir des feedbacks détaillés. Ce système a particulièrement fait ses preuves dans les zones rurales, où l'accès à la formation continue était auparavant limité.
En Nouvelle-Zélande, les "communautés d'apprentissage professionnel" (CAP) sont intégrées à l'emploi du temps hebdomadaire des enseignants. Concrètement, chaque mercredi après-midi est dédié à ces rencontres, où les enseignants analysent les données d'apprentissage de leurs élèves, partagent leurs réussites et leurs difficultés, et co-construisent des solutions pédagogiques. Ces CAP ont notamment permis d'améliorer significativement les résultats en littératie des élèves maori.
L'importance du contexte dans le développement professionnel
Au Japon, la pratique du "Lesson Study" illustre parfaitement l'adaptation contextuelle du développement professionnel. Cette méthode se déroule en plusieurs étapes : tout d'abord, une équipe d'enseignants identifie une problématique spécifique à leur contexte (par exemple, la difficulté des élèves à résoudre des problèmes mathématiques complexes). Ils conçoivent ensemble une leçon, que l'un d'entre eux met en œuvre pendant que les autres observent. L'analyse collective qui suit permet d'affiner la leçon, qui est ensuite donnée dans une autre classe. Ce cycle peut se répéter plusieurs fois jusqu'à ce que l'équipe soit satisfaite des résultats.
Helen Timperley insiste sur ce point : "Le développement professionnel efficace doit être ancré dans le contexte réel de la classe et répondre aux besoins spécifiques des élèves." En Ontario, cette approche se concrétise à travers les "enquêtes collaboratives". Les enseignants d'une même école identifient un défi commun (par exemple, l'engagement des élèves dans l'écriture), collectent des données sur leurs pratiques actuelles, expérimentent de nouvelles approches, et mesurent leur impact. Un exemple concret : une école primaire de Toronto a ainsi augmenté de 27% le taux d'engagement des élèves en écriture sur une année.
Les leviers de la motivation et de l'engagement
En Écosse, le système de "Professional Update" révolutionne l'approche du développement professionnel. Chaque enseignant dispose d'un portfolio numérique où il consigne ses objectifs de développement, ses réflexions et ses progrès. Les enseignants bénéficient d'entretiens réguliers avec un mentor qui les aide à identifier leurs besoins et à trouver les ressources appropriées. Ce système a notamment permis d'augmenter de 45% le taux de participation aux formations continues en trois ans.
Les conditions de réussite du développement professionnel
Le temps comme allié plutôt que comme contrainte
En Espagne, plusieurs régions ont mis en place des initiatives innovantes pour intégrer le développement professionnel au quotidien. À Madrid, par exemple, les "microformations" de la pause déjeuner sont complétées par un système de "banque de temps" : les enseignants qui partagent leurs expertises accumulent des heures qu'ils peuvent utiliser pour leur propre formation. Dans la région de Valence, les établissements ont adopté un système de "classes ouvertes" où chaque enseignant ouvre sa classe aux observations au moins une fois par trimestre.
En France, le dispositif des "heures dédiées" dans le premier degré offre des opportunités concrètes. Par exemple, dans l'académie de Créteil, ces heures sont organisées en "parcours thématiques" : les enseignants choisissent un thème de travail (comme la différenciation pédagogique) et bénéficient d'un accompagnement sur plusieurs sessions réparties dans l'année. Les retours d'expérience montrent que cette organisation permet une meilleure appropriation des contenus et une mise en œuvre plus efficace dans les classes.
L'importance du collectif et du soutien institutionnel
Les "constellations" françaises, initialement conçues pour les mathématiques, s'étendent maintenant à d'autres disciplines. Dans l'académie de Lyon, par exemple, un groupe de six enseignants travaille pendant six semaines sur la compréhension en lecture : ils observent mutuellement leurs pratiques, expérimentent de nouvelles approches, et bénéficient de l'accompagnement d'un formateur. Les résultats montrent une amélioration significative de la fluence de lecture chez leurs élèves.
En Finlande, le soutien institutionnel se manifeste par un système de "mentors itinérants" : des enseignants expérimentés sont détachés à temps partiel pour accompagner leurs collègues dans différentes écoles. Ils apportent non seulement leur expertise, mais aussi une vision externe précieuse pour l'amélioration des pratiques.
L'évaluation comme outil de progression
John Hattie souligne que "le feedback le plus puissant est celui que les enseignants reçoivent sur leur propre pratique." En France, certaines académies expérimentent des "protocoles d'auto-évaluation guidée" : les enseignants filment leurs séances, les analysent selon une grille co-construite, puis partagent leurs réflexions avec des pairs. Cette approche a notamment permis d'améliorer significativement la qualité des interactions en classe.
En Nouvelle-Zélande, l'évaluation du développement professionnel s'appuie sur un système de "preuves d'impact" : les enseignants collectent régulièrement des données sur les progrès de leurs élèves et les mettent en relation avec leurs propres apprentissages professionnels. Cette approche permet de mesurer concrètement l'efficacité des actions de développement entreprises.
Conclusion
Le développement professionnel des enseignants, loin d'être un idéal inaccessible, peut se concrétiser de multiples façons, adaptées au contexte et aux contraintes de chacun. Les exemples internationaux présentés démontrent qu'il existe autant de chemins que d'enseignants pour progresser dans sa pratique. L'essentiel réside dans l'engagement personnel, soutenu par une organisation adaptée et une vision claire des objectifs à atteindre.
Comme le rappelle François Muller, "le développement professionnel n'est pas une destination mais un voyage." Un voyage qui, bien que parfois complexe à initier, s'avère profondément enrichissant tant pour l'enseignant que pour ses élèves. Les multiples exemples de réussite à travers le monde nous montrent qu'il est possible de transformer le "je voudrais bien mais je ne sais pas" en "je peux et je sais comment", pour peu que l'on accepte de faire le premier pas sur ce chemin de progression continue.
Les recherches d'Helen Timperley confirment que lorsque le développement professionnel est ancré dans la pratique quotidienne et soutenu par des structures adaptées, il devient un puissant levier de transformation des pratiques et d'amélioration des résultats des élèves. Les exemples présentés dans ce chapitre démontrent que cette transformation est possible, quel que soit le contexte, à condition de l'aborder de manière systémique et réfléchie.
10 principes ayant fait leur preuve dans la recherche pour un développement professionnel efficace des enseignants[1]
1. Se centrer sur les résultats évalués des élèves
Des expériences d’apprentissage professionnel se centrant sur le lien entre certaines situations d’enseignement et les résultats évalués des élèves sont associées à des impacts positifs en termes de résultats.
2. Des contenus intéressants
Les connaissances et les compétences à développer sont celles qui ont été considérées efficaces dans les résultats évalués des élèves .
3 L’intégration des connaissances et des compétences
L’intégration des connaissances et des compétences essentiels à l’enseignant facilite un apprentissage approfondi et un changement dans les pratiques pédagogiques.
4. L’évaluation comme enquête professionnelle
L’information sur ce que les élèves ont besoin de savoir et de faire est utilisée pour identifier ce que les enseignants ont besoin de savoir et de faire.
5. Des multiples occasions d’apprendre et de mettre en œuvre l’information
Pour opérer des changements significatifs dans leurs pratiques, les enseignants ont besoin de multiples occasions d’apprendre une nouvelle information et comprendre ses implications pour la pratique. De plus, ils doivent rencontrer d’autres opportunités dans des environnements qui offrent à la fois de la confiance et des défis à relever.
6. Des approches réactives aux processus d’apprentissage
La promotion de l’apprentissage professionnel nécessite différentes approches selon que les idées sont en accord ou non avec les conceptions des enseignants sur les élèves et la meilleure façon d’enseigner.
7. Des occasions d’apprendre avec d’autres
Des interactions collégiales centrées sur les résultats des élèves peuvent aider les enseignants à intégrer de nouveaux apprentissages dans leur pratique.
8. Une expertise bien fournie
Une expertise externe au groupe des enseignants participants est nécessaire pour remettre en cause les conceptions existantes et développer le genre de connaissances et les compétences associés à des résultats positifs des élèves.
9. Un leadership actif
Des leaders éducatifs conçus comme un facteur clé du développement des attentes pour améliorer les résultats des élèves et assurant l’organisation et la promotion d’un engagement dans le cadre de situations d’apprentissage professionnel.
10.Maintenir la dynamique
Une amélioration soutenue des résultats des élèves nécessite que les enseignants disposent d’une connaissance théorique solide, de compétences à l’enquête fondée sur des preuves, et de conditions facilitées en termes d’organisation.
[1] Source : Timperley, H. (2008) Teacher Professional Learning and Development. International Academy of Education. International Bureau of Education. Paris: UNESCO
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