https://open.spotify.com/episode/0OUW6F91vN9vKtjhWK6REc?si=MMbmcOZDTDS6KIOJh1ZSYg
top of page

"Faire cours", c'est faire une conférence ?


Vous arrivez dans la salle de classe, tous les élèves sont déjà installés. Vous faites donc de même, vous vous asseyez sur votre chaise, solidement arrimée au sol. Dossiers sortis, vous reprenez le plan là où vous l’aviez laissé il y a deux jours : point 2.a, paragraphe 3. Vos élèves grattent. Quoi ? Vous ne savez pas. Que fait le cinquième rang ? Vous ne savez pas non plus. Vous avez quand même un goût amer dans la bouche. Insatisfaction grandissante ou peur d’aller voir plus loin ? Faire cours, est- ce tenir conférence devant une assemblée captive ? La tradition scolaire demeure vivace, si ce n’est en pratiques, du moins dans sa représentation. Ou mieux encore, avec les élèves ? Quelles sont les conditions pour faire un cours magistral qui marche ? Peut-on s’organiser différemment ?



 

« EST MAÎTRE DES LIEUX CELUI QUI L’ORGANISE »

Des élèves sondés par leurs jeunes professeurs avaient signalé cet aspect : le professeur de français est plutôt assis à son bureau, c’est moins vrai pour l’anglais, et pas du tout pour le prof d’EPS (et pour cause…).

 

Le cours magistral : la reproduction d’un modèle ou une représentation fantasmée

 

Dérivé de la cathèdre épiscopale, marque du pouvoir et du savoir dans la Cité, le modèle de référence est sans doute trop fort ou iconoclaste dans notre école républicaine, laïque et postindustrielle. Il faut rechercher sa légitimité philosophique dans le traité de John Locke, Essai sur l’entende- ment humain, 1693 : dans un monde alors complètement structuré par la transcendance et la raison innée, il défend que le cerveau est une tabula rasa, c’est-à-dire un « tableau vierge » ou une pièce sans meubles. Le rôle du maître est d’exposer clairement, de montrer avec conviction, éventuellement de répéter. « Innovation » à l’époque, la pratique s’est muée en véritable dogme à l’université et dans tous les systèmes de formation.


Ainsi donc, faire un cours magistral, c’est être loyal et conforme à un modèle universitaire, et à un système qui a lui-même formé les enseignants avec succès pendant des générations. La transposition s’effectue rapidement et trop simplement ; j’ai appris comme cela, je fais apprendre de même. Les enseignants, sociologiquement parlant, sont d’anciens bons élèves.

 

En résumé, nous pourrions analyser le processus du cours en trois étapes successives :

  • préparer un cours : sélectionner, hiérarchiser, synthétiser ;

  • faire le cours : exposer, organiser un jeu de questions-réponses ;

  • donner des devoirs (conseils, consignes), proposer des modèles.

 

LES LIMITES D’UN MODÈLE

Cette manière de faire classe suppose quelques postulats importants : la conception du savoir comme un contenu d’une part, l’élève est un contenant ; d’autre part, l’enseignement se résume en une transmission expositive et par une magistralité (de magister, maître en latin) dans une configuration frontale. Par ailleurs, elle emporte une conception de l’apprentissage qui, à l’examen des neurosciences et des connaissances psychosociales, reste très réductrice : la motivation dépendrait du pouvoir attractif du contenu en soi ; la clarté de l’exposé entraînerait une compréhension quasi immédiate ; la mémorisation s’effectuerait sans problème notable. Finalement, apprendre, ce serait écouter, imiter et répéter.

 

Le cours comme paradis perdu ?

 

L’activité centrée sur le maître est valorisante, au moment où s’effiloche l’identité de l’enseignant. Ce n’est pas le moindre des paradoxes que de constater un phénomène de renforcement négatif : moins cela marche, plus on fait la même chose. L’autorité du maître n’est plus assurée comme allant de soi, il faut donc retourner à ce qui faisait son autorité, en renforçant son ancrage disciplinaire et les règles de contraintes ! C’est oublier que le rapport au pouvoir et à l’autorité n’est pas seulement un problème de l’école, mais bien un problème de notre société. Toutes les fois qu’une des conditions envisagées plus haut n’est pas assurée, cela engendre un dysfonctionnement dans le microsystème de la classe. C’est un processus cumulatif qui à terme produit des tensions fortes chez tous les acteurs.


Dès lors, deux solutions possibles : un repli identitaire pour résister à la tension et un processus d’enfermement pour devenir une impasse. À ce jeu, l’enseignant se retrouve isolé dans une représentation de son,« monde » vacillant. Ou bien introduire quelques ouvertures dans le système, et traiter la situation en une analyse collective.

 

Changez d’optique… et de place

 

André de Peretti, prenant appui sur une expérience douloureuse de première monte à cheval, rappelait souvent une loi de dynamique physique : quand un système est en mouvement, surtout ne pas s’accrocher à un point fixe… En la matière, voici quatre suggestions.

 

Bougez. Marquez physiquement que l’espace de la classe ne jouit pas du statut d’extraterritorialité ; déplacez-vous, investissez l’espace collectif, tout en continuant de professer, jetez un coup d’œil sur l’activité des élèves, et prodiguez un ou quelques retours d’information à certains.

 

Changez de perspective. Pourquoi ne pas vous asseoir à côté des élèves, quitte à en mettre un à votre place en lui assignant un rôle de « détecteur de questions », par exemple ? Un autre peut être chargé de la trace écrite au tableau, vous tiendrez son cahier pour l’heure. Changer de point de vue, c’est un des principes actifs pour la résolution de problème. (Sur les rôles à distribuer dans la classe, voir le chapitre 2 « Mettre en groupe ».)

 

Faites évaluer l’activité. En fin de trimestre, proposez à vos élèves un questionnaire libre de type « j’aime, j’aime pas » sur les méthodes de cours. Ou un document de type échelle de Cosgrove1 : dix groupes de quatre propositions positives chacune, selon quatre dimensions :

  • maîtrise des contenus ;

  • relations avec les élèves ;

  • organisation et conduite de la classe ;

  • enthousiasme personnel.


Chaque élève doit en retenir une parmi les quatre ; vous avez en peu de temps l’évaluation de votre activité. Dans tous les cas, vous aurez droit à un satisfecit, mais aussi vous pourrez lire en creux des améliorations attendues.

 

 

Échelle de Cosgrove, présentée dans la thèse de M. Linard (1973), reprise par A. de Peretti, Recueil d’instruments et de processus d’évaluation formative, INRP, tome 1, p. 106.

 

Donnez la consigne suivante à vos élèves : « Dans chaque groupe, choisissez au moins une phrase, parmi les quatre propositions qui vous semblent le mieux se rapporter à votre professeur. »

 

GROUPE A

GROUPE F

Enthousiasme contagieux pour la matière qu’il enseigne.

Ne perd pas son temps à des choses

sans importance.

S’attache également aux progrès de chacun.

Fait clairement savoir ce qu’il attend de ses élèves.

En général à l’aise et détendu pendant ses cours.

Répartit régulièrement les travaux.

On n’hésite pas à lui poser des questions quand on n’a pas compris.

Cours clairs et bien structurés.

GROUPE B

GROUPE G

Toujours à l’heure pour le cours.

Agréable au cours.

Franc et direct quand il s’adresse aux élèves.

Semble bien connaître le sujet.

Accepte le point de vue des élèves.

Enrichit le vocabulaire des élèves.

Les élèves savent toujours ce qu’ils ont à faire pour la prochaine fois.

On travaille volontiers pour lui.

GROUPE C

GROUPE H

Cours méthodique.

Aime enseigner.

Amabilité naturelle.

Logique dans son raisonnement.

Semble savoir où il veut en venir.

N’hésite pas à féliciter les élèves pour leurs réussites.

Ne tourne pas les mauvaises réponses en ridicule.

A des connaissances dans des domaines voisins de son sujet.

GROUPE D

GROUPE I

Encourage la créativité et les initiatives.

Est au courant de l’actualité dans sa matière.

Accepte de revenir sur ses décisions.

Adapte sa méthode au contenu.

Son cours est toujours prêt.

Traite bien le sujet.

Encourage les élèves à trouver des réponses par eux-mêmes.

Est juste dans ses décisions.

GROUPE E

GROUPE J

Domine son sujet.

Donne envie d’en savoir davantage sur la question.

Note de façon juste.

Ne critique pas de façon négative.

S’arrange toujours pour faire les choses dans le temps prévu.

Le cours présente une réelle continuité.

Donne de l’importance au sujet qu’il traite.

Comprend les problèmes des élèves.

 Exemple pratique: avec mes élèves en Seconde, Paris, 2023


 Quand la routine devient  une  stratégie de survie

De nombreux enseignants reconnaissent que, globalement, ils font toujours cours de la même manière. Il existe une autre dimension derrière ce constat : la routine professionnelle existe bien, comme dans toute profession, elle est utile et agit comme un pilotage automatique en situation stable et horizon dégagé, ce qui n’est plus forcément le cas partout ou tout le temps. Dans certains cas, elle peut se révéler être une facette d’une stratégie de survie, aménageant un désengagement professionnel. Les psychiatres n’hésitent pas à avancer parfois le terme de « burn out ».


Six symptômes typiques de burn out selon le Centre américain de maîtrise du stress

  • Irritabilité et méfiance envers autrui.

  • Absence d’idées nouvelles pendant plus de six mois.

  • Manque d’énergie physique et/ou émotionnelle.

  • Sentiment d’isolement et de manque de soutien.

  • Forte aspiration à s’échapper de sa situation professionnelle actuelle.

  • Tendance à se justifier par un excès d’activité, en privilégiant l’aspect quantitatif plutôt que qualitatif.

 

Trois recommandations en cas de burn out

  • Appuyez-vous sur un(e) collègue proche : parlez-lui de votre sentiment, demandez-lui s’il (elle) connaît ce type de réaction et comment s’en défaire.

  • Songez à la solution de type formatif : rencontrer des collègues à l’extérieur qui partagent des problématiques similaires permet de prendre du recul. Dans ce domaine, les groupes d’analyse de pratiques existent. Consultez le PAF (plan académique de formation).

  • Veillez à recharger vos batteries en exerçant une activité physique régulière qui vous permette de vous retrouver. Tout est bon dans ce domaine, si c’est bien pratiqué : course à pied, roller, badminton, squash, natation. L’activité a ici une fonction quasi cathartique. Elle renforce votre capacité d’initiative et d’engagement personnel.

 

PRENDRE DU CHAMP AVEC LES PRATIQUES DES COLLÈGUES

 La routine s’installe d’autant plus vite qu’elle s’exerce dans un cadre collectif doté d’un contrôle social puissant, à la manière du Panopticon de Bentham : il suffit de parcourir à grande vitesse les couloirs d’un grand établissement scolaire de centre-ville, dont les salles de classes sont vitrées, pour constater de facto l’homogénéisation des pratiques et la pratique généralisée du cours magistral dialogué en grand groupe. Voir et être vu. Le poids d’une tradition bien ancrée dans les établissements français, impose l’estrade (même symbolique quand elle a disparu) et la chaise.

 

Le poids des traditions existe en éducation

 

Si un professeur nouveau ou stagiaire prend sur lui de jouer à « Vatican II » (supprimer les barrières, aller vers son public, parler pour être com- pris, associer les élèves au cours), il devra s’expliquer avec l’intendante, garante des installations. Si vous tentez une organisation de classe différente, il faut impérativement tout remettre à « la normale » pour le cours suivant ; d’ailleurs, les agents de service vous le disent bien : préparer une salle, c’est un bureau et, en face, des rangées de chaises en « autobus » (sic).

 

La loi du silence est aussi une loi qui reporte les souffrances sur les individus sans questionner la pertinence de la pratique. La pratique individuelle est inextricablement liée à la pratique pédagogique d’un établissement, et donc à son projet. Un enseignant n’est donc pas tout seul devant ses élèves ; il est « habité » et traversé par des projets, des pratiques, des routines qui le dépassent, mais qui sont aussi des appuis devant un collectif… quand il est organisé sur du sens et non sur des rangées de chaises. C’est déjà un grand progrès que d’en prendre conscience, pour faire évoluer éventuellement certains points. (Voir « Expliquez votre démarche aux parents », p. 492.)

 

Prendre le temps de communiquer avec ses collègues sur le cours

 Cependant, on n’a pas raison tout seul. Il faut donc investir un peu de temps et d’énergie dans la communication avec ses collègues.

 

- Entrez en contact avec les enseignants de votre discipline pour élaborer ensemble le projet disciplinaire de l’établissement, comme c’est déjà le cas en EPS, mais pas seulement. Les échanges sur les objectifs et les contenus toucheront inévitablement les méthodes et les pratiques. (Voir le chapitre 6 « Travailler en équipe ».)

 

- Allez voir le chef d’établissement pour envisager avec lui l’aménage- ment à peu de coût, cela va sans dire, de telle ou telle salle, et les conditions rapides de réalisation.

 

- Participez à la conception, écriture ou réécriture du projet d’établissement. L’étape suivante sera de se faire élire au conseil d’administration.

 

S’AUTORISER À PRENDRE DE LA MARGE

C’est un des grands leitmotive des enseignants non débutants. Le cahier de texte de la classe est le seul document administratif qui permet de rendre compte de son activité aux instances hiérarchiques que sont le chef d’établissement et l’inspection ; et d’aucuns d’invoquer la lourdeur évidente du programme de sa discipline, avec un horaire qui s’est réduit d’une heure en dix ans, l’autre de susurrer le dada de l’inspecteur : « Le cœur, ce doit être en vingt-quatrième semaine ! Tu en es où, toi ? » Ce sont des faits avérés certes. Le cours magistral serait donc la seule modalité permettant de traiter le programme le plus rapidement possible, et le plus efficacement bien sûr. Dans ces deux dimensions, le constat est toujours féroce ! Néanmoins, comment fait-on ? (Voir le chapitre 13 « Être le gardien des programmes ».)

 

Entre soumission au programme et liberté d’exercice

 et argumentaire touche indéniablement le rapport à l’Institution et au prescrit du métier. Il illustre un paradoxe du métier entre l’allégeance au programme et la liberté quasi absolue de son exercice. Il y a une marge certaine de manœuvre : la lecture raisonnée du programme et d’abord de ses objectifs montre la place des contenus de savoirs. De nombreuses séances de formation continue ont montré que les enseignants fonctionnaient plutôt dans une représentation maximalisée des contenus et une sous-estimation, voire une méconnaissance des objectifs. C’est d’autant plus vrai avec le texte du socle commun, formulé en termes de connaissances et de compétences à atteindre en fin de scolarité obligatoire, sans réduire les domaines à une discipline seule.

 

D’autre part, la fréquentation de l’inspection et son « pouvoir » de contrôle sont très relatifs : un enseignant voit son inspecteur tous les sept ans en moyenne, avec des écarts très importants selon les disciplines et les académies, allant jusqu’à douze ans parfois. L’inspecteur n’est plus le contrôleur des programmes ; il exerce une fonction de conseil et d’accompagnement dans le parcours (on dit PPCR) tout aussi importante pour l’enseignant que pour l’Institution.

 

 

 S’autoriser, c’est par exemple…

 - Comprendre que la pression des programmes et de l’Institution est celle que l’on se donne ; l’enseignant est en autocontrôle la plupart du temps ; l’accès Internet permet de reparcourir rapidement son pro- gramme, en particulier d’avoir une lecture rapide des objectifs (tous les programmes sur le site du CNDP : www.cndp.fr en trois clics, histoire de se rafraîchir la mémoire). (Voir le chapitre 23 « Faire de la didactique »).

 

- Ajuster sa pratique à son environnement professionnel proche : demandez à voir les supports de cours de vos collègues, jetez un coup d’œil sur les cahiers de textes des autres classes. L’Internet pédagogique est une vaste salle des profs, vous pouvez par exemple vous abonner à une liste de discussion de votre discipline ou d’un thème. (Sur les listes de dis- cussion, voir la webographie en fin d’ouvrage.)

 

- Solliciter la visite de l’inspecteur pour obtenir soutien et reconnaissance de sa pratique. Rien à perdre, tout à gagner.

 

Jusqu’ici, on a donc vu la prégnance de facteurs endogènes qui vont jusqu’à justifier la dominante forte du cours magistral dans la pratique professionnelle. Il existe aussi des pressions externes qui poussent dans le même sens.

 

 

PRIMAIRE : RENDRE POSSIBLE L’AUTONOMISATION  DES ÉLÈVES

 Tous les parents ont entendu leur enfant rentrer de l’école (primaire) ne jurant que par leur maîtresse. Lorsqu’il affirme « ma maîtresse a dit que », toute information complémentaire, toute suggestion alter- native seront très mal prises. « Ma maîtresse a dit que »… si ce n’était l’École avec un grand E, vous auriez parié sur un endoctrinement ou une dérive crypto-sectaire, mais vous êtes rassuré, ce n’est que la maîtresse. La relation entre enseignant et élèves en primaire peut prendre des colorations fusionnelles, parfois hypnotiques, quelles que soient la méthode ou la pratique à l’œuvre. La motivation existe non par le contenu intrinsèque, mais par l’attache à la situation de communication et à la fonction. La tentation est grande pour l’instituteur de la jouer « à l’ancienne ».

“Je suis leur « maître ».

Estomper l’« effet maître »

 La dérive possible est de ne pas organiser la sortie de ce dispositif pour les élèves : autre année, autre maître ou nouveau collège. La difficile « liaison école-collège » passe par une bonne préparation à des méthodes variées d’enseignement qui doivent peu à peu estomper l’effet-maître (Sur la liaison école-collège, voir le chapitre 17 « Prospecter les besoins des élèves »). Voici des suggestions pour mieux préparer les élèves à cette évolution.

 

- Dans la journée, varier le dispositif pédagogique en fonction des séquences de sorte à proposer une alternance cours, activités de recherche, travaux d’écriture, production collective, etc. Cela permet de construire les compétences de l’élève.

 

- Organisez avec un ou deux collègues des échanges de service, en fonction des compétences plus développées chez l’un ou chez l’autre : je prends tes élèves en histoire, tu me les prends en EPS.

 

- Sur un même niveau, vous pouvez avec un collègue mixer les élèves par groupes de besoins ou de compétences pour une ou deux matières. (Sur la variété des groupements possibles, ce qui est fortement recommandé pour les langues (voir le chapitre 2 « Mettre en groupe »). Plusieurs expériences ont pu montrer que fusionner deux classes et ses deux enseignants offre une gamme nettement plus importante de diversification dans les approches de différenciation en faveur des élèves.

 

COPIER, CE N’EST PAS FORCÉMENT APPRENDRE

C’est un « truc » qu’on refile en salle des profs à un jeune stagiaire qui se fait « bordéliser » (c’est le mot de la profession) : « Fais-les écrire. » L’activité de la prise de notes sous la dictée professorale ou du recopiage de tableau permet, d’une part, de constituer la trace écrite, formalisée du magister. L’objectif serait donc atteint, le cahier de textes enregistrera « fait ». D’autre part, ce type d’activité aurait le double effet curatif d’apaisement des tensions et de retour au travail pour les élèves. Si le constat est vrai, l’analyse fait défaut, car, dans la plupart des cas, c’est une manœuvre dilatoire pour différer la difficulté à un ailleurs, qui peut être le cours d’après. Finalement, c’est un modus vivendi ou plus exactement,un modus docendi. Cela se réduit souvent à « un pacte de non-agression », qui arrange les deux parties pour un temps.

 

Faire de l’écriture un acte d’apprentissage

 

Pour faire du travail d’écriture un acte d’apprentissage et non une échappatoire au bordel ambiant, nous vous suggérons trois attitudes.

 

- Faites passer un élève au tableau ou au TBI ; ce sera sa prise de notes qui va guider le travail de ses pairs et vous permettre tout au long du cours d’accompagner sa technique. C’est un rôle tournant  qui permettra à chacun d’exposer ses trucs, ses abréviations, ses repérages. En même temps que vous traitez le contenu du cours, vous travaillez en supervision de son activité et de celles des autres, autant de prises d’indices qui vous permettront une évaluation plus fine. (Sur l’organisation de la trace écrite, voir le chapitre 10 « Mettre en œuvre des outils ».)

 

- Scandez le cours en alternant temps d’information et temps de mise par écrit : les élèves sont associés en binômes de travail pour s’épauler mutuellement. Vous donnez d’abord une information avec traces au tableau, les élèves prévenus écoutent sans écrire ; puis vous donnez trois minutes pour le travail d’écriture ; ainsi de suite. Vous contrôlez pendant ce temps. Au besoin, vous établissez une confrontation entre deux traces écrites. (Sur la constitution de binômes, voir le chapitre 3 « Gérer les relations ».)

 

- Vous confiez à quatre groupes de quatre élèves un travail d’étude ou de résumé à partir d’un document extrait du manuel, avec restitution à la fin de l’heure ; de votre côté, vous prenez en direct les élèves qui en ont le plus besoin pour faire passer un contenu plus délicat. Cette modalité fonctionne si, dès le début de l’année, vous avez exposé la pluralité des fonctionnements possibles dans la classe. Ce qui ne fonctionne pas, c’est l’exception ou la rareté.

 

EXPLIQUEZ VOTRE DÉMARCHE AUX PARENTS

Enfin, il faut être attentif à ce qui est dit de l’École à l’extérieur, soit explicitement lors d’entretiens avec des parents d’élèves, soit dans le secret des cabinets des psychiatres en systémie familiale où, pour traiter la baisse de résultats scolaires du grand Benjamin, c’est bien toute la famille qui est analysée. Finalement, les résultats sont ce qu’ils sont, mais c’est le regard que portent sur eux les parents, leur interprétation qui laisse les élèves désemparés face à une École aux règles sibyllines, spécialement en matière d’évaluation (et donc d’orientation). Les parents projettent immédiatement leur propre vécu scolaire et préconisent eux-mêmes les formes qui ont pu les faire réussir : écoute, soumission, respect de la règle. C’est aussi le discours des parents qui ont arrêté très tôt leur parcours scolaire.

 

Résister à l’angoisse des parents

 

Tous ont en commun une représentation de l’École et du cours frontal certifié 1875, modifié en 1988 (avant 1989). Ainsi, une majorité de parents d’élèves n’attend pas autre chose de l’école que les formes qu’ils ont eux-mêmes connues : c’est particulièrement évident dans les lycées dits prestigieux ou de quartiers aisés. Finalement, la pédagogie active, c’est plutôt pour les élèves en difficulté, non ?

 

Pour éviter les reproches feutrés ou la convocation dans le bureau du chef d’établissement, quelques conseils :

- Dès le début de l’année, communiquez aux élèves (et donc aux parents, au besoin avec signature), une feuille indiquant la progression et le séquencement de l’année dans la discipline, incluant le rythme des évaluations.

- Dans le même temps, établissez avec vos élèves une « charte » des apprentissages dans votre discipline. « Apprendre et travailler en français en sixième, c’est… » ; vous pouvez aborder dès le début les pratiques de votre évaluation, les codes que vous songez utiliser, l’articulation entre évaluation formative et sommative. Une fois formalisée par vos soins, en respectant cependant les mots et apports des élèves, vous faites communiquer la charte aux parents.

- Montrez-vous disponible aux sollicitations éventuelles, et n’hésitez pas vous-mêmes à requérir par un mot sur le carnet de correspondance un entretien, sans attendre forcément un problème à régler. C’est toujours efficace.

 

LE COURS PEUT ÊTRE INNOVANT

La forme magistrale peut être de réintroduire le cours de manière plus efficace dans un dispositif plus en adéquation avec notre société actuelle, pour des élèves dont tout le monde convient qu’ils ont changé. De Peretti propose une mise en perspective qui va dans ce sens1 : « Nous passons d’une époque dominée par les modèles des empires des mers, ce que Fernand Braudel a appelé “l’ère thalassocratique”, à une époque “aérocratique”. Ce modèle s’est déplacé dans le système taylorien, la division entre ceux qui savent et décident, et entre ceux qui exécutent, nombreux, séparés et surveillés. Ce modèle a construit la fin du xixe siècle et très largement le xxe siècle, et c’est ce modèle qui demeure dominant, avec les résultats qu’on lui connaît à présent (voir enquête PISA).

 

« Warren Benis, compagnon de Kurt Lewin dans la création de la dynamique de groupe, disait que nous sommes entrés dans l’époque de la succession accélérée des systèmes sociaux temporaires. Il faut le vivre, ce qui suppose des enseignants qu’ils ne soient pas ritualisés, rigides, compassés ; ce qui suppose des structures de travail autres que celles des cours en amphi- théâtre, ou des travaux dirigés. Les chefs d’entreprise nous demandent, et ils ont raison, de préparer des individus qui s’adaptent aux changements incessants.

 

« Mais cette souplesse évolutive et cette rapidité ne sont pas constitués chez les jeunes, ils sont très “popotes”, conditionnés par les manières de travailler et les routines qui s’établissent. Pour vivre cette époque de changements accélérés, il faut de l’activité, du dynamisme, de la joie d’être, d’apprendre, d’enseigner… »


1. Entretien avec A. de Peretti, Les Périphériques vous parlent, janvier-février 1994, pp. 33-35, sur le site : www.lesperipheriques.org/

 

Combiner différentes formes de cours

 

La conférence n’est pas un mode d’enseignement négatif en soi, et peut très bien fonctionner si elle est couplée à d’autres dispositifs. En témoigne une expérience menée au lycée Europe-Robert-Schuman, à Cholet racontée par Fabienne Chevalier et Alain Joyeux, professeurs d’histoire et de géographie, avec quatre terminales (2 TL et 2 TES).

 

Le constat des difficultés. « Après plusieurs années d’enseignement en terminales littéraires et économiques, les professeurs étaient de plus en plus insatisfaits par l’organisation horaire classique (4 heures hebdomadaires en classe entière) : ils rencontraient des difficultés croissantes à faire face à l’hétérogénéité des classes ; à réaliser des exercices sur documents en faisant participer trente-cinq élèves ; à guider chaque élève en classe entière pour l’apprentissage des nouvelles épreuves du bac (en particulier le croquis de géographie).

 

« Les enseignants ont aussi mené une réflexion sur la mission du lycée : pas simplement préparer les élèves au bac, mais aussi les conduire progressivement vers l’enseignement supérieur. Le lycée dispose d’un amphi- théâtre de 120 places doté d’équipements stéréo et vidéo performants. De plus, l’acoustique y est très bonne. »

 

Adapter l’organisation aux objectifs. « Chaque professeur a deux classes et doit donc assurer 8 heures hebdomadaires. Nous divisons notre enseignement en trois types de séances :

  • 3 heures de cours (2 heures + 1 heure sur deux matinées) avec deux classes réunies dans l’amphithéâtre (soixante-huit élèves au maximum) ; ces heures sont consacrées à l’apport des connaissances du pro- gramme par le professeur que les élèves prennent en notes. Des documents sonores ou vidéos courts ponctuent les séances ce qui permet aux élèves d’intervenir pour les commenter. Le plan du cours est projeté en permanence à l’aide de transparents sur grand écran ;

  • 4 heures de travaux dirigés (quatre fois une demi-classe) : dix-sept élèves au maximum ; ces heures permettent de réutiliser les connaissances du cours pour s’exercer aux épreuves du bac. Ce sont des séances dominées par la participation orale active des élèves ;

  • 1 heure de soutien ou d’approfondissement avec un petit nombre d’élèves choisis chaque semaine par le professeur. Cette heure est inscrite dans l’emploi du temps de tous les élèves. Il s’agit de travailler sur des aspects méthodologiques précis qui posent des problèmes à certains élèves (rechercher une problématique, rédiger une introduction, commenter un type particulier de document…). Le programme de ces heures résulte d’ailleurs souvent d’une demande des élèves. C’est aussi l’occasion pour les deux professeurs d’échanger parfois leurs élèves.

 

« Chaque semaine, les élèves ont donc : 3 heures de cours en amphi- théâtre ; 1 heure de travaux dirigés ; 1 heure de soutien ou d’approfondissement lorsqu’ils y sont invités par le professeur. »

 

Adapter les contenus aux objectifs. « En début d’année, les objectifs sont essentiellement méthodologiques : comment bien lire un sujet ? Comment aborder les différents types de sujet ? Comment transcrire sur un croquis des informations du cours ? Par la suite, les séances se diversifient : approfondissement d’un point du cours, travail de recherche au CDI, approche de l’art contemporain dont les élèves sont très demandeurs, réflexion collective sur une question d’actualité à leur demande en rela- tion avec une partie du programme… »

 

Le bilan pour les professeurs. « La mise en œuvre de ce projet nous a demandé un gros travail toute l’année, une concertation étroite entre les deux professeurs : progression identique, devoirs communs (six devoirs de 4 heures) et partage du travail pour les corrections. À l’époque, chacun avait une terminale L et une terminale ES. Sur certains chapitres (croissance, crise…), l’écart de connaissances entre les L et les ES posait quelques problèmes lors des cours en amphithéâtre. L’amalgame entre les deux classes ne se faisait pas toujours très bien. Nous avons échangé nos élèves plus fréquemment en soutien et parfois en TD. Nous avons remarqué que beaucoup d’élèves n’osaient pas participer oralement dans l’amphi. Nous avons fait un effort particulier dans ce domaine même si la participation orale est, par ailleurs, très importante en TD et en soutien- approfondissement.

 

« Les résultats nous semblent très positifs. Nous avons pu diversifier notre enseignement, cibler les difficultés des élèves et avoir de très bons contacts avec eux, car les TD et le soutien-approfondissement permettent d’aller vers une certaine individualisation des relations professeur-élève. Certains élèves, non convoqués pour le soutien, nous demandaient parfois s’ils pouvaient venir quand même, ce que nous acceptions bien sûr. Nous avons pu terminer le programme, tant au niveau des connaissances que des apprentissages méthodologiques. »

 

Le bilan pour les élèves. « Les élèves (ainsi que les deux professeurs) ont ressenti un net regain d’intérêt du fait de la rupture du rythme et du type de travail entre les cours, les TD et le soutien. Ils ont découvert une organisation d’enseignement similaire à celle qu’ils auront dans l’enseigne- ment supérieur. 90 % des élèves interrogés par écrit de manière anonyme ont exprimé le sentiment que cette organisation leur “apportait quelque chose en plus”. Un délégué de parents d’élèves FCPE s’est fait aussi l’écho de l’avis positif des parents lors d’un conseil de classe. »

 

L’expérience montre qu’un dispositif d’enseignement se configure à l’échelle d’une équipe disciplinaire. Ici, elle fait jouer la nécessaire collaboration professionnelle en matière de progression, de supports d’études, d’évaluation. Le cours magistral reprend tout son sens : un apport de connaissances rapide et efficace dans la mesure où les enseignants prévoient des moments d’appropriation et de transposition. C’est une modalité possible de « l’enseigner autrement ».




 

AUTOTEST : SACHEZ DOSER LA MAGISTRALITÉ

✪ Au cours de la semaine dernière, vous avez assuré dix-huit heures de cours. Quelle est la proportion :

  • de « cours magistral » ?……………

  •  de cours dialogué ?……………

  • d’autres modalités de cours ?……………

 

✪ À quoi voyez-vous que vos élèves ont appris ? (3 observations)

  • .................................................................................................................


  • .................................................................................................................


  • .................................................................................................................


Ce post relève d'une mini-série sur ce blog, dont vous retrouvez les épisodes liés ici



La musique du jour


 

Comentários


bottom of page