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Progression, programme, je fais mon chemin


Quand un guide part en randonnée avec un groupe, il prend sa carte topo, son relevé météo et sa boussole. Le pilote de ligne doit déposer son plan de vol et avoir fait sa « check-list » avant d’embarquer. Et l’enseignant ? Quels sont ses outils privilégiés pour programmer son action, ses cartes et sa boussole pour accompagner ses élèves à l’ascension du mont « Programme » ?

 

SUBTILITÉ DES MOTS : PROGRAMME, PROGRESSION, PROGRAMMATION

Ces termes sont employés l’un pour l’autre, et, selon les enseignants et les ouvrages, ils recouvrent des réalités différentes et complémentaires.

Je ne sais pas ce que représente ce qu’on appelle la « progression ».

 Le programme établit une liste de notions à faire étudier. Il ne se préoccupe pas de l’ordre selon lequel ces activités sont menées dans la classe. Il est fixé non par une loi (contrairement à ce qu’en pensent bien des collègues), mais par une réglementation interne à l’éducation et éditée dans le BO (Bulletin officiel). Leur facture a pu changer dans l’histoire récente ; la tendance depuis 2013 est de viser à la plus grande cohérence entre disciplines et la construction du parcours des élèves ; ce sera sans doute un travail de plusieurs années à l’échelle d’une école, d’un établissement (cf. chapitre précédent).

 

La progression. Partant du programme, l’enseignant établit un ordre dans les apprentissages, un itinéraire et des étapes parmi les notions, tout en tenant compte de points de passage obligés (PPO en lycée). Elle s’efforce de déterminer un enchaînement des séquences, de façon à éviter l’empilement et la juxtaposition des notions. Elle ménage également, entre les séquences, des temps de synthèse qui permettent de dresser avec les élèves le bilan des acquis.

 

La programmation se préoccupe de la distribution chronologique des séquences retenues dans le cadre de la progression et prend en compte le calendrier scolaire (il est essentiel que des séquences ne soient pas coupées par des vacances). On s’attache à préserver une indispensable souplesse, permettant de faire varier le rythme des apprentissages selon les réactions, les difficultés et les intérêts des élèves.

 

La progression annuelle dans sa discipline, ou dans une matière (en primaire), n’est pas obligatoire – quoique souhaitée vivement par l’inspecteur –, mais elle vous est nécessaire. C’est un élément qui entre dans la composition de votre propre tableau de bord (cf. chapitre 7) : une sorte de feuille de route, un outil de gestion du temps et de la classe, représentant l’organisation prévisionnelle, le déroulement séquentiel et le suivi du programme.

 

Les ingrédients de votre progression

 À partir de la lecture attentive des programmes (instructions officielles et documents d’accompagnement), la progression, c’est votre projet prévisionnel d’activités qui, dans un tableau synoptique, comprend souvent :

  • les compétences attendues en fin de formation, puisées dans le pro- gramme ou le référentiel de formation ; ce ne sont donc pas seulement des contenus de savoirs ;

  • les évaluations de connaissances, de compétences ;

  • les méthodes pédagogiques pour développer les compétences visées ;

  • les modalités de la différenciation des parcours des élèves et de la ges- tion du temps (cours, TP, groupement, à distance).

 

Il faut se ménager de la souplesse et des temps de respiration.

 La progression organise votre travail de formateur. Sans elle, le danger est grand de ne pas avoir le temps de « finir le programme » ; elle n’est qu’indicative. Une progression trop « serrée », par exemple calculée sur trente-cinq semaines ouvrables, sans prise en compte des temps nécessaires de bilans de savoirs, d’impondérables de toutes sortes indépendants de votre volonté (visites médicales, temps d’orientation, sorties scolaires, projets émergents et autres événements forcément imprévisibles), vous accule dès le départ à un contrat non tenu.


 La recette de cuisine en six étapes

 L’équipe Éco-gestion de La Martinique propose un vade-mecum aux enseignants, aisément transposable à toute discipline. « Les définitions en sont aussi nombreuses que les pratiques… mais notre équipe s’accorde sur les points suivants1 » : : http://urlz.fr/6uSc

 

Les ingrédients obligatoires :

  • référentiel (disponible en ligne sur le site de CANOPE et reprise et développée sur nombre de sites académiques) ;

  • guide d’accompagnement et autres documents officiels s’ils existent   (mêmes remarques) ; pensez aux tableaux du « socle » ! ;

  • textes officiels de la répartition des horaires, quand ils existent ;

  • calendrier de l’année en cours (vacances, voyages, périodes de formation en entreprise quand c’est le cas) ;

  • ouvrage de la classe ;

  • emploi du temps de l’enseignant ;

  • papier, crayon, gomme. Mieux encore sur un tableau Excel.

 

Les ingrédients recommandés :

  • plusieurs ouvrages, à titre de comparaison ;

  • référentiels de la discipline en amont (classe précédente) et en aval (il vous précise ce qui doit être acquis en fin d’année ou fin de cycle) ;

  • emploi du temps de la classe ;

  • micro-ordinateur, tableur, accès Internet et navigateur, pour produire un travail collectif, communicable et susceptible  d’ajustement ;

  • quelques doses de courage et de patience.

 

Étape 1. Préliminaires :

  • survoler en premier lieu l’ensemble du programme ou du référentiel ;

  • diviser le programme en grandes masses : le recours aux ouvrages peut ici être utile (nombre de chapitres, de pages consacrées à chaque par- tie…) ; le travail peut d’abord se faire par trimestre ;

  • connaître le référentiel de l’année précédente vous permettra de vous appuyer sur les prérequis de votre classe ;

  • identifier le cycle ;

  • si possible, travailler selon l’organisation prévue dans l’établissement : trimestre ou semestre selon le cas, en vous basant sur des périodes courtes, de vacances à vacances (soit six à huit semaines en général).

 

Étape 2. Découpage précis :

  • dans la répartition effectuée, repérer les concepts fondamentaux, les notions essentielles. Il est alors essentiel de s’imprégner du référentiel, d’y repérer les champs notionnels, les compétences à acquérir, etc. ;

  • puis reprendre le référentiel point par point ;

  • s’appuyer au besoin sur les documents annexes, type guides d’accompagnement, fiches méthodologiques, pour approfondir ce travail ;

  • repérer l’organisation de la classe (heures de cours, TP ou TD, classe entière-groupes…) dans les textes officiels ;

  • travailler en équipe ou avec des collègues plus expérimentés peut être particulièrement utile à ce stade (par des évolutions communes).

 

Étape 3. Gestion du temps :

  • placer sur le calendrier les vacances de votre zone et les périodes hors cours (type stage), ou les événements locaux et manifestations prévues qui peuvent jouer sur votre enseignement (journée portes ouvertes, Salon du lycéen, examens blancs…) ;

  • laisser une marge de manœuvre suffisante pour tenir compte d’aléas possibles (en général, une à deux séances par trimestre) ;

  • comparer la durée prévue (ou recommandée) dans le référentiel avec la durée réelle en totalisant les heures d’intervention possibles (et au besoin utiliser une règle de trois ou appliquer un coefficient de réduction à l’en- semble si l’écart est trop grand) ;

  • procéder au découpage effectif du programme, d’abord en grandes périodes, puis en affinant la répartition interne des points abordés.

 

Étape 4. Construction de la progression :

  • penser dès le départ aux évaluations : forme, durée, fréquence… pour les intégrer à ce stade dans votre calendrier ;

  • vérifier que vous traitez l’ensemble du programme ;

  • préparer ensuite aussi efficacement le contenu de chacune de vos inter- ventions (détail par séquences, en fonction de la progression). Mais il n’est pas forcément possible de le faire dès le début de l’année pour l’ensemble des séquences : il ne faut pas oublier l’actualisation des données et d’éven- tuelles opportunités qui vous obligeront à vous adapter.

 

Étape 5. Adaptation en cours d’année :

  • suivre autant que possible la progression prévue ;

  • contrôler son déroulement au fur et à mesure de l’année pour rattraper au plus vite d’éventuels retards ;

  • l’adapter si nécessaire, sans perdre de vue votre objectif principal : trai- ter l’ensemble du programme pour la réussite des élèves et des étudiants. La progression est un guide de travail, flexible et évolutif, à adapter à la classe, à son rythme, au vôtre, pour mieux réussir ensemble.

 

Étape 6. L’année suivante, c’est encore mieux :

  • Recommencer… en tenant compte de l’année passée et des nouvelles données : durée de certaines séances à revoir, modifications éventuelles des évaluations, difficultés des élèves sur certains points, mise à jour ou rénovation des programmes à prendre en compte, reprise du confinement et hybridation numérique, capitalisation des travaux.

 

À travers cette question de progression prévisionnelle, on perçoit que le métier a changé : on a dépassé progressivement la représentation fantasmatique de la maîtrise totale des contenus, du temps et de l’espace pour passer à une logique d’ajustement et de régulation a posteriori de l’exercice. On retrouve l’avantage d’une démarche expérimentale pragmatique : on fait une hypothèse de travail, on la soumet à l’épreuve de la réalité, on ana- lyse les résultats, on en tire des leçons pour réguler la pratique. Une bonne progression sera celle qui aura passé l’épreuve de l’expérience  sur deux à trois ans et souvent mutualisée avec des collègues.

 

Bonus Web ☛Voir, par exemple, en lettres les tableaux synoptiques d’organisation des programmes (compétences, contenus) en matière de lecture et d’écriture, de la sixième à la terminale, sur le site de l’académie de Montpellier : http://urlz.fr/6uSd

 

COMMENT AMÉLIORER SA MÉTHODE

La recette n’est bonne que si vous y ajoutez votre touche personnelle ; au-delà des techniques, ce n’est qu’une  organisation des savoirs dans le temps scolaire destinée à faciliter votre travail pour  les apprentissages des élèves.

 

 Investir sa liberté pédagogique

 Bien souvent, dans les programmes de discipline, il n’y a pas d’ordre si ce n’est celui de l’énumération dans le BO (Bulletin officiel), à moins d’une indication explicite. La liberté pédagogique est une responsabilité située, comme le précise la loi de 2005 : « La liberté pédagogique de l’enseignant s’exerce dans le respect des programmes et des instructions du ministre chargé de l’Éducation nationale et dans le cadre du projet d’école ou d’établissement avec le conseil et sous le contrôle des membres des corps d’inspection. ». C’est éloigné d’une approche néo-libérale du métier prônée par certains collègues.

 

La progression est donc d’abord une affaire de sens que vous voulez donner à l’organisation des apprentissages, contenus et savoir-faire. Pour aborder chacun des thèmes du programme, le professeur devrait répondre (et donc faire des choix) aux trois questions successives :

  • Quelles notions vais-je construire en m’appuyant sur ce thème ?

  • Quelle problématique pour atteindre ces notions ? Ce qui revient à poser la question du sens à donner à chacun des thèmes. Qu’est-ce que je veux qu’en fin de compte mes élèves retiennent, quel « message » ? Quel axe vais-je privilégier ?

  • Quelle est l’étude de cas la plus pertinente et quelle démarche paraît la plus appropriée pour aboutir à ce résultat ?

 

C’est l’inverse de la démarche du cours : le cours doit partir d’une étude de cas pour aller au général. Alors que construire la programmation, c’est d’abord réfléchir aux problématiques et aux notions à construire pour faire ensuite le choix cohérent des études de cas1.

 

Se donner un temps souple et des réserves pour durer

 André de Peretti rappelait aux enseignants l’utile « loi des tiers » : à chaque séquence d’activités d’un groupe (par exemple, un trimestre, un stage de formation, mais aussi une heure de travail), il se produit comme une crise au voisinage du premier tiers, puis du second tiers de la durée concernée. Cette loi nous permet de prévoir et d’anticiper la montée de certaines difficultés dans des groupes, dans des classes. Demander à des élèves les mêmes facultés d’attention ou de réalisation au début ou à la fin de l’année scolaire, au début ou au milieu d’un trimestre, est irréaliste. Les moments qui précèdent la fin d’un travail ou d’un trimestre peuvent être extrêmement riches si on y prête attention. De la même manière, c’est vers la fin d’un entretien ou d’une réunion que se disent souvent les choses essentielles.

D’après « Comment construire une programmation pour le programme de géographie de seconde ? », IUFM Aix-Marseille, groupe de développement géographie, document de travail, juin 2002

 

La progression peut utilement prévoir une certaine souplesse en résistant à compléter toutes les cases du tableau de votre programmation ; planifiez un temps « sabbatique », en fin de séquence, ou en fin de trimestre, de sorte à faire un bilan des savoirs, un point sur les réussites et sur le dégagement de l’horizon en mettant en perspective les projections des élèves. Des instants précieux pour la construction des apprentissages et des jalons pour les parcours de formation des élèves.

 

Panoramique et zoom, une autre manière de progresser
Je ne parviens pas à me libérer d’une progression fortement suggérée par le programme.

 André de Peretti m’a personnellement guidé en me proposant une lecture « cinématographique » de mon propre programme : le « programme » d’un trimestre ou d’une année peut être proposé, après des moments de prise de contact, en une, deux ou trois leçons : dans un mouvement panoramique bien fait, appuyé sur un visuel (vidéo, Prezi par exemple), un résumé accompagné de plans et de quelques textes. Et on peut ensuite, plus librement, proposer plusieurs travellings avant, pour approfondir tel ou tel morceau de programme, sélectionné par soi- même ou par les élèves, ou encore par un choix concerté compte tenu de leurs motivations éventuelles.


On pourra ensuite terminer un trimestre ou une année en présentant avec force un nouveau panoramique, ainsi que quelques notes complétant les parties moins étudiées. Certaines études poussées, des travellings avant, pourront être réalisées en séminaires, avec l’aide d’enseignants d’autres disciplines ou d’élèves d’autres classes, voire aboutir à des réalisations des élèves (exposition, film, pièce jouée, schémas de mémorisation, systèmes de fiches, etc.).

  

MA PROGRESSION À L’ÉPREUVE DES RÉALITÉS

L’invitation à la liberté en matière de progression pédagogique rencontre fréquemment quelques obstacles à prendre en compte, pour mieux les « négocier ». C’est le cas d’un ouvrage imposé sans votre avis, comme de la liberté tout aussi irréductible des collègues. La progression est bien la combinaison complexe d’invariants programmatiques, et de variantes contextuelles, professionnelles et personnelles.

 

Ma progression et celles de mes collègues
Ma progression est incompatible avec celles de mes collègues de discipline. Difficile de faire autrement.

 L’harmonisation d’une progression annuelle dans une discipline avec une progression annuelle entre plusieurs collègues n’est pas obligatoire, elle présente des avantages certains : la charge de travail est répartie, l’échange de compétences entre enseignants expérimentés et jeunes est permis, le croisement de modules devient possible, l’évaluation en est partagée et facilitée. Elle devient nécessaire quand le constat est fait de différences très importantes en matière de performances scolaires au moment des conseils de classe. Il s’agit alors de réduire les nombreux facteurs intervenants dans les résultats pour mieux analyser les difficultés rencontrées. Ainsi, aligner ses progressions permet d’envisager des regroupements différenciés d’élèves, des exercices communs, des organisations de type « professeur à la carte » qu’on a pu voir tester dans quelques établissements, ou encore dans le cadre de dispositifs d’accompagnement personnalisés en seconde générale. Des clés pour les parcours modulaires dans une organisation plus intelligente.


 Comment conjuguer ma progression et leur ouvrage ?

 Une progression fondée sur la réalisation successive et méthodique des chapitres d’un manuel scolaire est, malgré la rigueur apparente de la démarche, vouée à connaître les affres de l’inachèvement. Le manuel n’est qu’un outil parmi d’autres à votre disposition, il est une ressource pour vous comme pour les élèves ; il ne peut être le « prescripteur » de votre propre travail. La meilleure progression est celle que vous vous construisez, pas à pas, en vous appuyant au besoin sur d’autres ressources. Dans ce cas, il vous sera utile de revenir sur le processus décrit p. 189 au niveau de l’étape 2.

 

 

AUTOTEST : TROIS RECETTES POUR PARFAIRE VOTRE PROGRESSION

 ✪ Dans une matière ou dans votre discipline, sur le niveau qui vous pose le plus de problèmes, demandez à un ou deux collègues d’échanger avec eux, ou qu’ils vous communiquent leur propre progression. ❏

 

✪ Faites une rapide recherche sur Internet sur les sites de disciplines des académies pour retrouver un exemple de progression. Comparez, et à partir de ces exemples, élaborez une progression qui sera la vôtre, c’est la bonne. ❏

 

✪ Tenez un petit carnet hebdomadaire avec deux colonnes au regard des séquences : FAIT et À RETRAVAILLER. Vos propres notes vous guideront pour faire les ajustements nécessaires en fin d’année. ❏


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