Entre « exploration » et « exploitation » dans les démarches d’innovation
- François Muller
- 15 févr. 2024
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 19 janv.

visuel extrait de https://www.co-implement.fr/trouver-le-juste-equilibre-entre-agilite-et-efficience/
« Dans un de ses rapports typiquement brillants, James March (1991) indiquait que toutes les organisations ont besoin d’une combinaison de ce qu’il appelait « l’exploration » (un autre terme pour innovation) et « l’exploitation » (désignant l’amélioration systémique fondée sur des façons éprouvées d’obtenir des résultats). March soulignait qu’une organisation qui n’innove pas est appelée à disparaître, mais que trop d’innovation est également une mauvaise chose. Les véritables profits d’une organisation – qu’il s’agisse des résultats financiers d’une entreprise ou de meilleurs résultats des élèves des écoles – proviennent, selon March, non pas de l’innovation, mais de la mise en place (« exploitation ») d’éléments efficaces connus dans les organisations. Trop d’innovation peut nuire à l’exploitation.
Comme le dit March : (traduction) Les systèmes adaptatifs qui s’engagent dans l’exploration à l’exclusion de l’exploitation sont susceptibles de constater qu’ils subissent les coûts de l’expérimentation sans en obtenir les avantages. Ils manifestent trop de nouvelles idées sous-développées et trop peu de compétence distinctive. (1991, p. 71) L’équilibre précis à établir entre l’exploration et l’exploitation différera selon les contextes, mais dans la plupart des cas, la formulation de March laisse entendre que l’utilisation efficace de ce que nous savons déjà constitue un élément beaucoup plus important.
Cependant, il semble que dans le cas des écoles, l’innovation ait été un élément prépondérant à l’ordre du jour, mais que peu d’innovations aient été étendues ou aient duré. Il faut très peu d’efforts pour se rappeler de nombreuses innovations largement promues et adoptées en éducation, mais qui ne se sont pas propagées ou n’ont pas produit des avantages durables. Pensons aux classes ouvertes préconisées il y a quelques décennies et à l’éducation compatible avec le cerveau prônée aujourd’hui. Les enseignants de longue date peuvent invariablement décrire toute une série de programmes, de projets ou de politiques qui ont été promus comme des innovations miraculeuses, mais qui sont disparus après quelques années. Je ne soutiens aucunement qu’elles étaient toutes de mauvaises idées.
Mon argument, c’est qu’elles n’ont pas changé l’ensemble du système d’éducation et n’ont donc pas engendré une amélioration durable. Un tel résultat est de la nature même d’une innovation. La majorité des innovations finissent par être inefficaces ou très difficiles à réaliser, ou encore très coûteuses. Les technologies de l’information constituent un exemple particulièrement intéressant, car il s’agit de l’un des motifs les plus fréquemment invoqués pour exiger des changements approfondis dans les écoles.
Depuis cinquante ans, nous entendons que les changements technologiques transformeront fondamentalement la prestation de l’éducation. Cet argument a été fait au sujet de la télévision, puis des ordinateurs et maintenant des appareils personnels comme les ordinateurs blocs-notes, l’iPad et le réseautage social. Mais ces cinquante ans d’histoire ont démontré que la promesse n’a jamais été tenue. Il y a une décennie, Cuban (2001) a présenté en détail cet échec. Depuis, nous avons eu plus d’exemples – tels les tableaux électroniques au Royaume-Uni (Moss, et al., 2007) et les portables individuels. Des revues de la recherche ont conclu qu’aucune de ces technologies n’avait eu un impact discernable sur l’apprentissage des élèves (Burns & Ungerleider, 2003). On pourrait soutenir que l’effort continu déployé pour instaurer les technologies dans les écoles a été l’une des plus grandes pertes de temps et d’argent de l’histoire récente de l’éducation – tout ça au nom de l’innovation.
La solution de rechange à l’emphase mise sur l’innovation consiste à mettre l’accent sur l’exploitation (au sens de March) de ce que nous savons. Un sceptique pourrait demander si nous disposons de connaissances fiables suffisantes en éducation pour les exploiter. Je réponds fermement oui. Évidemment, il y a encore beaucoup à apprendre sur les bonnes pratiques en éducation, mais nous en savons déjà beaucoup – je parle ici des pratiques confirmées par des quantités substantielles de preuves empiriques provenant de sources multiples montrant toutes des directions similaires. J’avance le point de vue que si nous utilisions dans pratiquement toutes les écoles tout ce que nous savons déjà au sujet de la scolarisation efficace, nous réaliserions de très grands gains sur le plan des résultats.
Source : extrait du discours de Ben Levin « L’amélioration, et non l’innovation, est la clé d’une plus grande équité ». Colloque Canada-États-Unis Réaliser l’équité par l’innovation Toronto, 27 et 28 octobre 2010 Institut d’études pédagogiques de l’Ontario, Université de Toronto
Références citées dans le texte
Burns, T.C. & Ungerleider, C.S. (2003). Information and communication technologies in elementary and secondary education: State of the art review. International Journal of Educational Policy, Research, & Practice, 3(4), 27-54.
Cuban, L. (2001). Oversold and underused: Computers in the classroom. Cambridge, MA : Harvard University Press.
Moss, C., Jewiitt, C., Leavcic, R., Armstrong, V., Cardini, A. & Castle, F. (2007). The interactive whiteboards, pedagogy and pupil performance evaluation: An evaluation of the Schools Whiteboard Expansion Project. London: Department for Education and Skills. Research report 816.
Quand tout semble impossible pour changer l'école, voici 10 conseils pour commencer
Commencez petit, mais commencez ! Il n'est pas nécessaire de vouloir tout changer d'un coup. Choisissez un aspect de votre pratique que vous souhaitez améliorer et concentrez-vous dessus. Par exemple, vous pourriez modifier la façon dont vous démarrez vos cours, introduire une nouvelle activité d'apprentissage collaboratif, ou expérimenter un outil numérique. Observez les résultats et ajustez en conséquence.
Identifiez vos besoins et vos attentes. Que souhaitez-vous changer dans votre pratique ? Qu'est-ce qui vous frustre ou vous limite ? Quelles sont vos aspirations pour vos élèves ? [ Une fois que vous avez une meilleure compréhension de vos propres besoins, vous pouvez commencer à chercher des solutions et des ressources pour vous aider à progresser.
Apprenez des autres. Observez vos collègues, participez à des ateliers de formation, lisez des articles sur l'innovation pédagogique. Il existe de nombreuses sources d'inspiration et d'apprentissage. N'hésitez pas à partager vos expériences et à demander conseil.
Travailler en équipe. Le changement est plus facile et plus durable lorsqu'il est porté par un collectif. Collaborer avec vos collègues, partager vos idées et vos expériences, et soutenir les initiatives des uns et des autres. La réussite d'un projet d'innovation dépend souvent de la capacité d'une équipe à travailler ensemble et à se soutenir mutuellement.
Recherchez le soutien de la direction. Le changement nécessite un environnement favorable. Informez votre direction de vos projets et sollicitez son appui. Une direction qui encourage l'innovation et qui met à disposition des ressources pour soutenir les initiatives des enseignants est un atout précieux pour le changement.
Communiquez avec les parents. Le changement peut parfois susciter des interrogations ou des résistances. Expliquez aux parents les raisons de vos choix pédagogiques et les bénéfices pour leurs enfants. Une communication transparente et régulière permet de créer un climat de confiance et de favoriser l'adhésion aux projets d'innovation.
Soyez patient. Le changement prend du temps. Ne vous découragez pas si les résultats ne sont pas immédiats. Persévérez dans vos efforts et continuez à apprendre et à vous ajuster en fonction des obstacles et des opportunités.
Acceptez les erreurs. L'innovation implique nécessairement une part de risque et d'incertitude. Ne craignez pas de faire des erreurs, considérez-les comme des opportunités d'apprentissage. Analysez ce qui n'a pas fonctionné et adaptez vos pratiques en conséquence.
Célébrez les réussites. Le changement peut être difficile, il est donc important de prendre le temps de reconnaître et de célébrer les progrès réalisés. Partagez vos succès avec vos collègues, vos élèves et vos parents. La valorisation des réussites contribue à créer une dynamique positive et à encourager la poursuite des efforts d'innovation.
N'oubliez pas le plaisir d'enseigner. L'innovation pédagogique doit être au service de la réussite des élèves et du bien-être des enseignants. Gardez à l'esprit la joie d'enseigner et le plaisir d'accompagner vos élèves dans leurs apprentissages. Une attitude positive et enthousiaste est contagieuse et contribue à créer un environnement d'apprentissage stimulant et bienveillant.
Changer l'école peut sembler une tâche immense, mais il est important de se rappeler que chaque petit pas compte. En adoptant une approche progressive, collaborative et positive, et en s'appuyant sur les ressources disponibles, il est possible d'initier des changements significatifs et durables pour améliorer la qualité de l'éducation.
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