En éducation, le mieux est-il l'ennemi du bien ?
- François Muller
- il y a 19 heures
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Frontispice d'Ambrosius Holbein pour l'édition de 1516.[1], voir litterature.fandom.com/fr/wiki/Utopie
La prospective aura toujours tort et rien ne produira comme prévu; le plus autoritaire des régimes peut chercher à transformer la réalité; la prégnance des choses et les routines trop humaines inverseront le cours de l'histoire, il suffit d'un peu de temps pour avoir raison sur ces points.
Aussi, puisque que les scenarii de l'impossible ont été exposés pour les années 2040 (e Rapport ICARE), pouvons-nous alors verser dans le positivisme (angélisme ?) et pousser les curseurs de tendances contemporaines plus loin, juste pour voir ?

L'École française se trouve à la croisée des chemins, face à un impératif de transformation. Les constats actuels, issus de l'enquête internationale TALIS, dessinent un tableau sans complaisance : une culture professionnelle encore largement individuelle où le travail en petits groupes (37 % contre 47 % en moyenne), la pédagogie de projet (24 % contre 37 %) ou l'usage du numérique restent en retrait.
Loin d'une rupture brutale, la vision pour l'École de 2040 est l'aboutissement inéluctable des innovations qui germent aujourd'hui dans nos établissements. Ce scénario prospectif ne relève pas de l'utopie, mais de la généralisation de pratiques efficaces, articulées autour de trois piliers interdépendants : le capital humain, la révolution pédagogique et la réinvention de la matrice spatio-temporelle.
Le capital humain : de l'artisan isolé à l'ingénieur collaboratif
La pierre angulaire de cette transformation est la mutation du rôle de l'enseignant. En 2040, la logique de la transmission isolée a cédé la place à celle de l'enseignant-concepteur et de l'ingénieur pédagogique. Cette mutation n'est pas un parcours solitaire ; elle est propulsée par la force du collectif. Le développement professionnel continu, désormais systématisé au sein de communautés d'apprentissage professionnel, est devenu un processus intrinsèquement collaboratif. Inspirées de modèles comme les Lesson Study japonais ou incarnées par les "laboratoires de pratiques" de l'académie de Rennes, ces collaborations permettent d'analyser, réguler et améliorer constamment les pratiques. Le collège Louise-Michel, en réorganisant son temps pour dégager des créneaux de projets et de co-intervention, illustre comment cette intelligence collective se déploie concrètement.
Comme le démontre la méta-analyse de John Hattie, cet "effet enseignant", dont l'impact sur la réussite des élèves atteint une taille d'effet de 0.93, est ici démultiplié par la force de cette intelligence collective, démontrant que cette professionnalité accrue est le levier le plus puissant et le plus pragmatique de la réussite scolaire.
La révolution pédagogique : de l'instruction à l'apprentissage actif et différencié
Le paradigme pédagogique de 2040 s'ancre résolument dans les sciences cognitives, faisant de l'engagement actif, du feedback, de la répétition espacée et de la récupération en mémoire les fondements de toute séquence.
Cette philosophie prend corps dans la pédagogie de projet, qui n'est plus marginale mais devient le véhicule privilégié des apprentissages. Elle offre un cadre naturel à l'interdisciplinarité, brisant les silos pour donner du sens aux savoirs et permettre aux élèves de saisir la complexité du réel.
Au sein de ces projets, la différenciation pédagogique s'opère organiquement, s'adaptant aux rythmes et aux besoins de chacun. Le pilotage constant de ce processus est assuré par une évaluation pour les apprentissages, qui se substitue à la "saturation notatoire" et à la logique de l'évaluation de l'apprentissage. Son but n'est plus de classer mais de guider, transformant l'erreur en information et le feedback en levier de progression. En devenant expert et co-constructeur de son savoir, à l'image du dispositif "#Je sais, Je partage", l'élève devient un acteur autonome et conscient de son parcours.
La matrice spatio-temporelle : des murs pour apprendre
Cette révolution pédagogique a nécessité de déconstruire le modèle rigide "une discipline – un cours – une heure – un enseignant". En 2040, l'architecture scolaire est devenue agile et flexible. Les salles de classe, modulables et polyvalentes, s'inspirent du dispositif "archiclasse" et de ses métaphores ("le feu de camp" pour les présentations, "la grotte" pour la recherche, "l'oasis" pour l'échange).
Ces espaces ne sont pas de simples décors ; ils sont les conditions matérielles de la révolution pédagogique. L'espace "grotte" devient le lieu privilégié de la récupération en mémoire individuelle, tandis que "l'oasis" est celui où le feedback entre pairs, au cœur de l'évaluation formative, prend tout son sens. Le projet ECLA au collège Jean-Philippe Rameau préfigurait déjà ces environnements apprenants.
Parallèlement, l'emploi du temps a été repensé. L'adoption de séquences de 45 ou 50 minutes libère des plages horaires pour des projets interdisciplinaires ou de l'accompagnement personnalisé. Cette nouvelle architecture n'est donc pas un accessoire, mais la condition de possibilité de la pédagogie active et différenciée qui la précède.
Une ambition réaliste, un projet collectif
L'École de 2040 s'est accomplie comme une véritable "organisation apprenante". Des professionnels devenus architectes pédagogiques (Pilier 1), déployant des pratiques actives et différenciées (Pilier 2) dans une matrice spatio-temporelle flexible (Pilier 3), orchestrent un écosystème entièrement tourné vers l'épanouissement et la réussite de tous.
Ce scénario n'est pas une utopie, mais la généralisation d'expérimentations réussies, menées par des pionniers dans nos académies. Cette transformation n'est pas le fruit d'un décret, mais d'un projet collectif ambitieux, porté par des enseignants-experts, responsabilisés et créatifs, et leur direction, ce ne sont plus de simples exécutants mais les véritables maîtres d'œuvre de la réussite de tous les élèves.





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