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A la rescousse ! Wegener, Jules Verne et Glück, tous réunis !


En 2008 (c'est loin pour certains,) la commission Pochard avait rendu son verdict ! Qui n’en est pas un ; c’est un livre vert [2]d’audit sur le métier d’enseignant et de recommandations, peut-être destiné à caler l’armoire normande de quelque bureau ministériel ? Mais, enfin, on a pu évoquer publiquement les conditions du métier, quelques évolutions possibles et mêmes souhaitables ; les auditions ont été larges (et on peut les voir et entendre sur le site de l’éducation, c’est passionnant[3]) ; le rapport écrit fait la part belle aux études anciennes, mises en perspective.


Les propositions sont acceptables, quoiqu’en disent certains, et elles demandent à être entendues, discutées, relayées et étudiées. Au moins pour trois raisons en invoquant à notre renfort trois autres experts pour le moins…inattendus. : ce sont nos amis Wegener, Jules Verne et Glück. Ils nous aideront à faire le point sur ce qu’il faut retenir de ce rapport.


Wegener[4] au renfort des enseignants

Il y a encore peu de temps, à l’échelle humaine, et encore moins à l’échelle architectonique, nous partagions tous l’évidence que la terre était comme une « pomme plissée », où les sommets trouvaient leur origine dans le manque d’eau des matériaux. Il a fallu une sorte de révélateur comme cet Allemand, Wegener, en 1915, à la convergence de plusieurs sciences, pour construire la théorie de la tectonique des plaques.


Science déductive, intuition faite d’observations et de récurrences, plus tard prouvée scientifiquement, la géo-morphologie proposait une « construction du monde » suivant une dynamique bien différente, dont l’énergie est à puiser dans la convection du magma et la mobilité des plaques. Tout y est en mouvement.


Telle la faille de San Andreas, en Californie, en décrochement, à la jonction des plaques tectoniques du Pacifique et de l’Amérique, tous, nous savons que San Francisco et Los Angeles disparaîtront en peu de jours en cas de secousse forte dite de rattrapage : c’est-à-dire d’une autre façon que moins cela bouge, plus cela va bouger ; les tensions et pressions retenues seront d’autant plus fortes qu’elles ont été contenues. L’arc doit se détendre.


Que dirait alors Wegener de notre organisation humaine, sociale et professionnelle de l’Education, et de notre statut professionnel, celui de l’enseignant, statut de 1950, mais d’un modèle généré encore plus ancien ? Alors que tout, juste à côté, y est dynamique. Et quels sont les faisceaux qui montrent que notre profession, notre « monde » est bien relié aux autres qui connaissent de façon plus ouverte des évolutions moins saccadées et plus sereines.


Est-il bien raisonnable, viable, et même sérieux de penser que seuls les enseignants, français évidemment, seront « sauvés des eaux » de nos civilisations occidentales post-modernes. Ce n’est plus Wegener qu’il nous alors invoquer, mais bien saint Augustin, assiégé par les Avars dans sa Ville fortifiée d’Hippone. L’Ecole doit-elle être cette forteresse du Savoir, hermétique à tout ce que le Monde risque et promet dans un même mouvement ? Quel message d’avenir adressons-nous à nos élèves ?

Wegener nous a donc appris que pour comprendre le monde, il nous faut changer sans doute de représentation du monde, et que l’étude du terrain nous apprend plus que le savoir livresque et sclérosé enseigné dans l’université d’alors. Alors, allons sur le « terrain », avec Jules Vernes.

« Voyage au Centre de l’Enseignement », Jules Verne à la rescousse

Enquête archéologique sur les terrains de l’innovation et de l’expérimentation

Jules Verne nous a fait participer activement et de manière stimulante à un Voyage au Centre de la Terre[5] ; peut-être vous souvenez-vous qu’un professeur se mettait en devoir de décoder une énigme runique ; pour cela, il lui fallut partir en aventures pour résoudre des problèmes « éruptifs » tels que nous pouvons encore les connaître dans notre propre monde ; et dans ce parcours, parfois initiatique, parfois intérieur, découvrir des minerais, des trésors, des civilisations perdues ; parvenir enfin à sortir des entrailles de la Terre vers la belle Italie, paradis perdu.


L’enquête de terrain, l’accompagnement des équipes, l’analyse des dispositifs, l’évaluation partagée des expérimentations, sont des sources prometteuses pour détecter l’actualité du métier, plus sans doute, les lignes de force qui travaillent la profession. Car, tous ces collègues, tous niveaux confondus, toutes disciplines mêlées, (et cela répondra au prétendu argument de la spécificité intrinsèque d’un élément), préfigurent encore de façon « souterraine » les grands traits de l’Ecole moderne, comme une convection magmatique, à la manière de Wegener, eh oui !


Dans une courte synthèse, quelles sont les caractéristiques éprouvées, décodées, vécues par les enseignants engagés dans l’innovation et l’expérimentation pédagogique ? : tout d’abord, le cadre du métier n’est plus la classe, mais bien l’établissement : le travail s’affirme comme une organisation plus collective, régulée et ouverte, avec des prises de responsabilités qui décentre le professionnel de la stricte activité d’enseignant-transmetteur. Il y a des machines pour cela !


Ensuite, l’organisation, les contenus, les dispositifs sont au diapason de l’élève ; cela a des incidences très fortes sur le temps de présence et sur les modalités de servir du prof. L’action emporte une dimension de réorganisation des espaces, des temps et des rythmes scolaires ; les tice dans ce domaine n’y sont pas pour rien.


Enfin, les équipes ont entamé, sans vraiment le savoir, mais c’est bien cela un processus, une véritable mue : en acceptant quelques dilemmes ingérables au niveau personnel (le désordre, la toute puissance, l’autorité par exemple), les personnels ont développé une coopération professionnelle qui les rend plus forts, comme ils ont pu le faire avec leurs élèves. Des questions délicates comme le rapport au pouvoir, souvent soupçonné d’autoritaire, ou le libéralisme des positions, sont progressivement éloignées par l’ouverture des pratiques, des classes… et des esprits.


Ainsi, Jules Verne nous en avait averti, plonger au cœur de la Terre nous fait plonger au cœur de nous-mêmes. Les leçons du terrain nous disent que c’est bien une identité professionnelle qui est en pleine mutation. A ce titre, nous pouvons comprendre les résistances, inerties et secousses provoquées.


Orphée dans d’autres temps épiques est descendu dans les entrailles de la Terre pour retrouver son Eurydice. Allons ensemble à sa quête.


« J’ai perdu mon Eurydice[6] » : l’actualisation du « programme » enseignant en Europe, et l’exception française

Glück nous a servi un très bel air, mais Eurydice pour nous, en éducation, sera moins belle que celle délaissée aux Enfers. Eurydice,[7] le réseau d’information sur l’éducation en Europe, avait publié en 2003 un important document sur la profession enseignante en Europe. Bien des aspects sont analysés, dont les tâches statutairement requises (p.54) .Ah, on retrouve les Lois de 1950.


L’enquête trans-nationale a permis de distinguer six domaines complémentaires à l’acte d’enseigner : supervision d’élèves entre ou après le cours, remplacement de collègues, soutien des futurs enseignants ou entrants ; seule est retenue les tâches d’évaluation des élèves (notations, conseil de classe, contacts avec les parents d’élèves).


La France présente un profil en la matière particulier en Europe. Quasiment aucune des tâches complémentaires au cours n’y est prescrite : Le travail en équipe, note le rapport, est promu par des formations offertes aux enseignants.

La construction européenne se fera-t-elle aussi par l’harmonisation des statuts du métier d’enseignant et l’enrichissement de son rôle, particulièrement en matière de travail collectif ?


Ce qui caractérise ainsi l’exception française, c’est que le cadre de la prescription a été maintenu, là où il a évolué plus souplement, plus réactivement, plus ouvertement partout ailleurs, même si les situations sont diverses. Nous pouvons défendre une certaine spécificité à la française, mais nous serions coupables de rester aveugles à ce que nos élèves doivent faire, et par conséquent, à ce que nous devons faire pour qu’ils fassent….


Soyons attentifs à cinq points, et relions-les sans attendre !

Ainsi, réveillons Orphée, revenons à la Lumière, comme à la fin du roman picaresque de Jules Verne, accueillons la complexité du métier et la modernité de notre profession, dans une intelligence de la prescription faite nouvellement en 2013[8] (dix compétences du métier) en insistant sur quelques points d’inflexion, non tant des textes que des pratiques, dont Perrenoud disait qu’elles constituent cette révolution du 3ème type, la plus efficace car la plus durable, mais la moins évidente.

Voici donc cinq points d’inflexion du métier pour les vingt prochaines années, à construire dès la formation initiale et à organiser dans les services déconcentrés

Une mobilité nécessaire :

c’est bien une question de management qui vaut pour tous les cadres, et non pour les enseignants ? La mobilité est source de fertilisation croisée, de décalage formatif et de santé mentale et intellectuelle ; non pas forcément, dans les mêmes termes que les personnels militaires, mais sur des rythmes plus formatifs, tels que 7 ans par exemple, c’est-à-dire le cycle de « vie » des connaissances et savoirs professionnels. La mobilité peut être certes géographique, mais aussi, dans une même aire, de niveau, de degré, de discipline, d’équipes. Bref, un peu de souplesse organisée éviterait bien des situations enkystées et problématiques non pour les enseignants que pour les élèves eux-mêmes !


Une prise en compte des compétences et du parcours de formation

obligation, responsabilité, variété, continuité, ouverture – la mobilité serait bien facilitée par la valorisation des étapes, expériences et savoirs dégagées ; le parcours professionnel est un parcours de formation tout au long de la vie. Alors que la VAE agit dans tous les autres corps de métier, rien n’existe encore dans l’enseignement. Rien n’est fait pour que les personnels s’impliquent à évoluer, à bouger, à capitaliser. Là aussi, peu de choses suffirait à déclencher beaucoup. Le regard porté sur les compétences, l’attention des cadres portée à la formation continue, l’accompagnement à l’évaluation seraient des facteurs producteurs de performances à la mesure de la richesse du tissu humain de la profession. Mais qui le sait ?


Un travail d’équipe, valorisé et supporté

injonction totalement paradoxale que le voir inscrit partout dans les textes et jamais appliqué dans la formation initiale et continue ! La performance individuelle, et toute discipline, prime tout autre aspect relégué à des abysses très secondaires ; là encore, peu de choses suffiraient à inverser le processus ; organiser des groupes de travail en formation, évaluer la performance collective au concours, favoriser explicitement les équipes dans l’emploi du temps et les services, tout cela ne tient pas des textes institutionnels, mais bien des pratiques, et derrière elles, des valeurs en jeu. Actuellement, on joue au tennis sur un terrain de football ! Qui gagne, à votre avis ?


Un temps professionnel enrichi et intéressant pour l’élève et pour l’enseignant

l’Ecole n’a pas encore fait sa révolution en restant figée à l’ère tayloriste et ultra-libérale de la décomposition du temps et de l’émiettement des savoirs. Ce type d’organisation valables pour une petite partie des élèves n’est pas pertinente pour tous les élèves ; c’est bien en observation les lycées professionnels qui réussissent comme aussi les structures pour décrocheurs que l’on voit se transformer l’organisation du temps scolaire : longues plages de travail, activités menées à bien, travail d’équipe, évaluations différées et validantes, capitalisation des savoirs. Tous les acteurs de ce système ont à gagner pour une réflexion qui ne peut se faire que … localement. Aniko Husti l’a bien montré dans les expérimentations sur le « temps mobile ». Penser global, agir local !


Une évaluation régulière et partagée

dans nos académies, dans certaines disciplines, il se trouve des enseignants qui n’ont pas vu un inspecteur dans leur classe depuis … 25 ans. Comment régulent-ils alors leurs pratiques pour survivre ? Après tout, ils vivent même très bien en ayant construit pas à pas des systèmes de dérivation et d’approfondissement professionnel ; ce qui était impensable ou difficile encore il y a quelques années, s’avère tout à fait réaliste à présent : la vie des disciplines, en listes de diffusion, sites en réseau, associations professionnelles, permet, si l’on y prend garde, un processus de formation continuée et d’actualisation de ses pratiques tout à fait remarquable. Ce qui manque certes, c’est la régularité et la proximité du conseil pédagogique, tel que l’on trouve dans le premier degré, très efficace et bienveillant. Ces approches plus collectives, plus professionnelles, plus partagées dans l’analyse que dans la prescription sont bien plus pertinentes et porteuses d’évolution que la pure inspection individuelle. Un entretien bien mené et ritualisé avec son chef d’établissement construit chacun de deux acteurs, plus sûrement que son absence totale et surréaliste dans notre contexte professionnel actuel. Pour filer la métaphore sportive, on joue au football avec un gardien de but « en aveugle ».


Des possibilités de bifurcation et de seconde carrière

ceux qui ont des proches, conjoints, mais aussi grands enfants le mesurent : mobilité, souplesse, variété, diversité, changement, adaptation, sont des caractéristiques professionnelles qui touchent tous les domaines ; c’est vrai pour nos classes au quotidien Et les enseignants seraient encore une fois les seuls à ne pas connaître d’évolution professionnelle. La profession peut être vécue comme une impasse, faute de pouvoir identifier et faire reconnaître les compétences rares qu’elle peut développer chez ceux qui l’ont « habité ». De la même façon qu’il est intéressant que des personnels arrivent à l’enseignement en milieu de carrière, de même, certains devraient plus facilement partir pour le bien de tous, et de la société ! Des initiatives tels que l’association Aidoprofs[9] sont à faire connaître assurément auprès des collègues.


NOTA BENE : Le jeu de cet exercice sur la commission Pochard nous a forcé à tenter une analyse plus sectorielle. Cependant. « on n’a pas raison tout seul ! » ; on ne peut inviter au changement des pratiques sans penser « systémique », en envisageant l’accroissement de responsabilité de l’établissement, l’évolution nécessaire de l’accompagnement, la formation des cadres par exemple. Réforme de troisième type, vous dis-je.


La musique du jour


[3] Je vous propose une liste forcément sélective et subjective, mais c’est un bon commencement:

François Perret, Doyen de l’inspection générale de l’éducation nationale (IGEN) , Hervé Hamon, Jean-Marc Monteil , Jacques Lesourne, Philippe Meirieu, Claude Thélot , Jean-Pierre Obin. Il nous faut juste … un peu de temps pour regarder, écouter, méditer . http://winmedia.axime.com/MENESR/education.gouv.fr/actu/2007_11_perret.mpeg

[4] Alfred Wegener est un astronome et météorologue allemand, principalement connu pour sa théorie de la dérive des continents publiée en 1915.

[5] Voyage au centre de la Terre est un roman de science-fiction, écrit en 1864 par Jules Verne. Ayant découvert un manuscrit runique ancien, un savant, son neveu et leur guide entreprennent un voyage vers le centre de la Terre en y entrant par un volcan islandais éteint. Comme à l’habitude de Jules Verne, le roman est un habile mélange de données scientifiques, d’extrapolations osées et d’aventure. L’introduction du roman reflète l’engouement d’alors pour une science jeune, la cryptologie. La suite enchaîne une description de l’Islande de la fin du XIXème siècle, puis une vaste introduction à deux autres sciences en plein essor, la paléontologie et la géologie. L’intégrale du roman peut être écouté en mp3 sur http://www.litteratureaudio.com/index.php/2007/07/17/jules-verne-voyage-au-centre-de-la-terre/ . On complétera utilement l’hommage par l’analyse des dimensions de l’espace et du temps dans le roman proposée par Lionel Dupuy http://pagesperso-orange.fr/jules-verne/CIEH2.htm .

[6] Extrait d’un air d’ Orphée et Eurydice, Tragédie-opéra en trois actes de Christoph Willibald Gluck, Livret français de Pierre-Louis Moline d’après le livret italien de Ranieri de’ Calzabigi, 1774

[8] Ce texte a permis de donner le cadre et les références du « Cahier des charges de la formation initiale », paru au Bulletin officiel en 2013. Vous pouvez le retrouver dans son intégralité sur la page https://www.education.gouv.fr/le-referentiel-de-competences-des-metiers-du-professorat-et-de-l-education-5753


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