R comme gestion et valorisation des ressources humaines (le carré magique, suite)
- François Muller
- 4 nov.
- 7 min de lecture
Dernière mise à jour : il y a 6 jours

GERICAULT Théodore, : musée du Louvre (Paris), voir https://histoire-image.org/etudes/manifeste-romantisme
Par un mauvais jeu de mots, nous pourrions dire que nous manquons d’R. Cette autre variable du jeu en carré est traitée, comme la précédente, comme un quasi-invariant, mécanisé. Pourrait-on dire même comme une absence de gestion et de valorisation des ressources humaines ?
Il est intéressant, tout comme il est curieux, de noter que l’apparition d’une direction des ressources humaines est apparue dans l’institution, dans chaque académie, au même moment qu’une mission des innovations pédagogiques. L’esprit fut là, après, c’est une autre histoire. Le passif en matière de ressources humaines est extrêmement lourd ; les situations n’ont jamais été bien ou correctement traitées, tant est si bien qu’encore les DRRH ou DRH, c’est selon, gèrent l’urgence et la difficulté des personnels, avant tout autre chose ; encore une fois, ils se trouvent en situation d’administrer, sans avoir à penser prévisionnellement les postes et à valoriser les compétences.
Quelles sont alors les motivations profondes d’un professionnel, personnel enseignant, pour faire plus, pour faire autrement, pour changer sa pratique, pour évoluer, si jamais dans son institution, dans ses cadres, et auprès de ses supérieurs, il n’est fait mention de ses compétences identifiées, reconnues, valorisées, et de ses besoins, et de ses projets plus personnels ? Finalement, nos enseignants de base ont le cœur bien accroché et la foi chevillée au corps, pour exercer au bénéfice des élèves, mais sans aucune reconnaissance externe ni validation de leurs réussites.
D’une certaine façon, on peut ici comprendre l’individualisme constaté, et noté par ailleurs. Les fondements du métier sont quasiment et au sens propre du terme « autonomes » en ce qu’ils puisent dans une motivation intrinsèque, sans recours aucun à l’extériorité.

Allégorie de la « boite à œufs » de Lortie, une image proposée à l’issue de l’observation d’une salle des professeurs pendant un an par des étudiants en sociologie. Tous identiques peu ou prou, mais dans une organisation conçue pour éviter les rencontres.
Pour cette raison, si nous désirons, corps d’inspection, chefs d’établissement, formateurs, faire évoluer le système, et par interaction, faire évoluer les pratiques professionnelles, cela doit commencer par la prise en compte plus ajustée des compétences existantes, par la reconnaissance des réussites, par la valorisation des initiatives, et par la validation des acquis. C’est un acte instituant, bienveillant et salvateur pour l’institution que de compter sur les énergies positives et l’investissement de ses propres personnels. Les traiter de façon égalitaire et indifférenciée aboutit à nier tout ce qui existe et germinatif.
Une autre R est possible
Cela peut se passer au travers, ou contre elle parfois, d’où l’ambivalence récurrente des « expérimentateurs » et autres « innovateurs » envers l’Institution. Une variation d’un vieil air connu (encore un R) : « je t’aime, moi non plus ».
En ce qui concerne le domaine de la formation plus précisément, il s’agirait de quelques mesures relativement simples :
Identifier plus clairement les compétences visées dans les contrats de formation;
Garantir les durées réelles de formation initiales et contenues;
Procéder plus régulièrement et plus efficacement à une évaluation interne des besoins en formation, en envisageant la délivrance formelle de certificats de capacités, validant le module, pourquoi pas ?
Organiser le suivi des parcours professionnels et l’histoire en formation des personnels ; techniquement, c’est possible, et les outils sont déjà en place, mais tout est fait comme si cela n’existait pas, et surtout pas pour l’évaluation des personnels;
Réinvestir les études de cas et les réussites dans la formation professionnelle, où la mémoire s’avère toujours très courte;
Conduire les entretiens d’évaluation en prenant en compte à la fois le parcours en formation, en reconnaissant les compétences construites, en identifiant les possibilités d’évolution sur des postes profilés, et que la note soit significative de cette richesse, sans aplanir tout dans un barème sans signification.
En reprenant notre « carré magique », nous pouvons en proposer une lecture en trois dimensions, de sorte à faire apparaître alors deux niveaux connexes, un niveau local qui rassemble pratiques et organisation du travail, ces deux variables appartenant à l’expérimentation stricto sensu.
Le deuxième niveau rassemble alors les deux autres variables, celles qui actuellement posent problème, à savoir formation et ressources humaines, car elles relèvent bien du dispositif de pilotage d’un bassin, d’un département, d’une académie.

La conduite du changement joue alors sur l’imbrication de ces deux niveaux et sur ces quatre variables, avec plans formels ou informels ? Consultons le message que nous donne André Giordan, professeur à l’université de Genève et chercheur[1] ; il invite à la « réforme informelle » :
C’est dans une telle vue qu’il convient d’en venir aux problèmes de la formation professionnelle des acteurs de l’enseignement.
Des écoles plus « efficaces » ?
Dans la série des « écoles efficaces » ou des établissements dits innovants (les mots varient selon les périodes et selon les pays), à partir des études portant sur des milliers de cas documentés[2], une lecture critique permet de distinguer cinq facteurs concourant à l’amélioration de la qualité de l’enseignement et des acquis des élèves .
Les débats épistémologiques ou de portée déontologiques peuvent être assumés et accompagnés pour engager dans des changements ; ce ne peut être possible qu’en favorisant les échanges et les contacts dedans et dehors de la classe, de l’école.

Ainsi, le conseiller pédagogique n’a pas à s’intéresser uniquement aux questions de formation de jeunes débutants ou d’animations pédagogiques, pour que tout cela « marche » ; il gagnera à développer avec ses collègues, avec les directeurs et d’autres partenaires sans doute (le Cardie de votre académie, le conseiller académique recherche et développement en innovation), une vision systémique, dynamique et moins statutaire pour que les choses « marchent » mieux.
Le changement réussi est de l'ordre de l'informel et du complexe. C'est une transformation du regard qu'il s'agit de mettre en place en premier. Le changement s'opère d'autant mieux qu'il s'effectue inconsciemment, un peu comme les modifications du rythme cardiaque qui se produisent à notre insu. Il s'élabore d'autant plus efficacement que l'on évite le recours aux ordres et aux décrets, qui sont généralement subis comme des cassures et des ruptures, et que l'on prend appui sur les potentialités que tout système humain possède pour évoluer.
Ce sont les conditions de base pour obtenir la coopération des membres et des parties d'une organisation dans sa dynamique d'évolution. Et cette approche requiert toute la vigilance du promoteur de changement. Si celui-ci met l'accent sur les défauts et cherche en premier lieu à les éliminer, il a toutes les chances d'activer les blocages et par effet rétroactif de renforcer les dysfonctionnements repérés. Par contre, le respect et la valorisation des systèmes humains et des personnes dynamisent leurs possibilités d'évolution et les autonomisent.
Paradoxalement, c'est au moment où l'on s'accepte dans ses propres manques et où l'on se sent reconnu que l'on peut entrer le plus facilement dans un processus de changement. Toute organisation humaine, et cela est encore plus vrai pour l'école et ses personnels, y compris de direction, a fondamentalement besoin de cette reconnaissance et de cette valorisation avant de pouvoir entrer dans une dynamique d'évolution.
C'est alors que les ressources et les compétences du système deviennent facilement mobilisables pour parvenir aux fins souhaitées. Or, contrairement à ce que l'on pense généralement, les innovations ne manquent pas à l'école. Le problème est qu'elles sont peu connues, pas évaluées, rarement mutualisées, jamais valorisées. La plupart du temps, les enseignants les font même en cachette de peur de se faire taper sur les doigts.
Le changement est éminemment paradoxal. Sans doute sont-ce ces savoirs qui devraient faire partie du «socle commun de connaissances» de l'école. Cela serait certainement très utile à nos hommes politiques, mais pas seulement !...
C'est cette culture du changement qu'il s'agit d'injecter dans nos organisations, et pour commencer à l'école. Nombre d'enseignants sont déjà prêts à s'y lancer si on leur «lâche les baskets», si on les reconnaît dans leurs efforts et leurs compétences, et surtout si on les accompagne dans leurs faux pas. Pour les autres, tout est une affaire de recrutement, de formation et de reconnaissance. Sur ce dernier plan, un ministre a alors peut-être sa place.
(suite demain)
[1] Dernier ouvrage paru : Apprendre ! (Belin), nouvelle édition 2004. Par André Giordan professeur à l'université de Genève et directeur du Laboratoire de didactique et épistémologie des sciences. Libération, 15 février 2005
[2] Par exemple, la base nationale de l’innovation, Expérithèque, compte actuellement plus de 5300 actions référencées, documentées et suivies, portant sur les domaines de la pédagogie, dans tous les degrés et dans toutes les académies. http://eduscol.education.fr/experitheque/carte.php

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