Que faire avec le "pitre" de la classe ?
- François Muller
- il y a 1 jour
- 5 min de lecture

Pieter Bruegel le jeune, d’après Pieter Bruegel l’Ancien, Les Proverbes flamands, Anvers, 1607, huile sur bois, Lierre (Belgique), Stadsmuseum © Eric Joly, voir https://clio-cr.clionautes.org/figures-du-fou-du-moyen-age-aux-romantiques.html
Un élève au collège peut faire le pitre ou le bouffon pour plusieurs raisons, souvent liées au contexte pédagogique, à la dynamique de groupe, ou à des facteurs développementaux et sociaux,
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Pourquoi l'élève agit-il ainsi ?
Plusieurs facteurs clés expliquent pourquoi un élève, en particulier au collège, adopte un comportement perturbateur ou de bouffon/pitre :

Mécanismes de défense et recherche d'attention :
Le rôle du bouffon ou du pitre est souvent associé à l'élève en échec scolaire , parfois appelé « cancre »
Si l'enseignant accorde publiquement du succès à un élève en difficulté (une attribution de succès en visibilité), cet élève peut être tenté de jouer son rôle de cancre ou de pitre aux dépens de l'enseignant, ce qui peut mener à des performances négatives
De même, si un élève en échec est interrogé devant les autres et qu'on lui rappelle ses notes antérieures (attribution d’échec en visibilité), son attention n'est pas modifiée, le rendant « totalement disponible pour toute autre chose… généralement détourner l’attention de ses camarades »
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◦ Face à l'humiliation de l'échec scolaire, les élèves (en particulier les garçons) peuvent réagir par la rage et la violence, des mécanismes psychologiques coûteux mais qui réparent instantanément la blessure faite à l'estime de soi
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Désengagement et ennui face à l'enseignement traditionnel :
Le comportement perturbateur peut être un symptôme du désengagement des élèves ou de méthodes d'enseignement qui n'encouragent pas leur participation active
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Les enseignants qui rencontrent le plus de difficultés dans la gestion de classe sont ceux qui privilégient un enseignement frontal et magistral, où l’élève est majoritairement en posture d’écoute,
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Un contenu de cours perçu comme trop difficile (un « noyau dur » didactique) ou un cours magistral dans ce cas, peut provoquer de l'apathie très scolaire ou des effets inattendus, comme l'agitation
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Facteurs sociaux et développementaux :
Les collégiens traversent l'adolescence, une période où le besoin de socialisation devient une priorité Ils construisent leur identité à travers les interactions avec leurs pairs, ce qui rend la présence des camarades particulièrement stimulante et parfois distrayante
En l'absence d'un cadre clair et structuré, les élèves peuvent avoir du mal à adopter immédiatement une posture de travail et peuvent avoir besoin de se « défouler » (évacuer leur excitation ou un sujet extérieur à la classe)
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Que faire face à cette situation ?
La gestion des comportements perturbateurs exige de la part de l'enseignant des ajustements méthodologiques, organisationnels et relationnels
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Adapter la posture pédagogique et la relation
• Privilégier l'anonymat pour la valorisation : pour motiver un élève en échec scolaire, l'enseignant devrait faire une attribution de succès en situation d'anonymat (en privé). Cette approche, inhabituelle pour l'élève, favorise des performances positives, alors que l'attribution de succès en visibilité risquerait d'encourager l'élève à jouer son rôle de pître
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• Instaurer le « Colibri » : l'enseignant doit trouver un équilibre subtil entre présence et distance (comme l'oiseau-mouche, métaphore du colibri),, en s'approchant de l'élève sans exercer de pression excessive ni créer de dépendance
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• Encourager la réflexion et le bien-être : Il est fondamental de créer un climat de sécurité et d'appartenance dans la classe
,. Les enseignants doivent se préoccuper du sentiment de compétence de l’élève, le convaincre que ses méthodes sont efficaces et qu'il a prise sur les événements,
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Utiliser des stratégies d'enseignement qui engagent l'élève
• Varier les méthodes et les rôles : il est essentiel de varier les activités au sein d'une heure de cours pour dynamiser les échanges et éviter l'ennui
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• Miser sur le travail coopératif : le travail en équipe ou en binôme (la « cordée ») est très efficace, notamment pour les élèves en difficulté, car il permet de s'entraider et de réduire les situations de blocage. Dans ces groupes, chaque élève peut investir un rôle précis (animateur, vérificateur, rapporteur), ce qui renforce la synergie du groupe et permet aux élèves de trouver leur place,
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• Donner du sens et des objectifs clairs : les élèves sont plus engagés si le cours a un sens Pour engager les élèves, l'enseignant doit clarifier les objectifs, les consignes et les critères de réussite de manière explicite,,
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Mettre en place un cadre et des rituels structurants
• Ritualiser le début de séance : le fait de « diriger une séance, c'est ritualiser » Des « petits rituels » au début de la classe permettent de recréer le cadre scolaire, assurant ainsi une routine positive et automatisée qui rassure et marque la frontière entre le jeu et le travail,
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• Déléguer la gestion : confier des rôles tournants aux élèves pour les tâches collectives et officielles (présences, distribution de matériel, etc.) non seulement les responsabilise mais libère également l'enseignant pour se concentrer sur la supervision et le soutien des activités
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• Gérer l'entrée en classe : l'enseignant peut varier son comportement en entrant avant, avec, ou après les élèves, et s'arrêter pour échanger quelques mots d’attention ou de valorisation, donnant le « ton » au cours
Utiliser la situation de crise pour un travail collectif
• Analyse collective : toute explosion de violence ou de comportement perturbateur doit être vue comme une situation de « communication non aboutie » L'enseignant peut s'appuyer sur des moments comme l'« heure de vie de classe » ou le « Quoi de neuf » (inspiré de la pédagogie institutionnelle) pour analyser collectivement la vie de classe,
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• Dialogue ritualisé : dans ce cadre, des rituels de prise de parole sont établis pour déminer le terrain, en s'assurant que chacun puisse « s’expliquer différemment » sans imposer d'ascendant par la force ou le chantage. L'objectif est de rétablir le processus de symbolisation sociale
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• Sanction et Responsabilisation : si des sanctions sont nécessaires, elles doivent être graduées, proportionnelles à l'acte et d'effet instantané pour être éducatives. On peut également proposer des mesures de responsabilisation (comme des travaux d'intérêt collectif) pour les élèves en difficulté scolaire ou sociale
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La présence du pitre ou du bouffon en classe signale souvent un manque d'engagement ou un besoin de reconnaissance mal géré. La solution réside dans l'adoption d'une pédagogie coopérative, contextualisée et explicite, qui transforme la classe en un espace où chaque élève, même le plus en difficulté, peut trouver sa place et sa valeur. Un peu comme un maître de jeu qui, plutôt que de punir l'agitation, canalise l'énergie des joueurs vers la résolution créative de l'énigme.

