Où le lecteur est invité à une nouvelle Loi de la Relativité en évaluation : « Dès que l’on crée un repérage, on crée de l’inertie », disait Albert Einstein. Gare aux risques de nos repérages évaluatifs et de leurs entraînements obsédants.
Un principal de nos amis, ancien formateur par ailleurs, pensant à nous, lors de sa première année dans un collège très républicain dans la composition de son public scolaire, a entrepris de faire la recension de tous les actes d’évaluation, par la seule voie de la notation, qui faisait la performance (ou non) de son établissement, en vue d’un débat avec ses enseignants. Pour 18 classes de 26 élèves en moyenne, sur 36 semaines, quelques 15 disciplines présentes, il est parvenu à la somme de 90 000 notes. Etonnant, non ?
Une telle prolifération de notes monocordes semble répandue dans nos établissements, tellement que nous n’y prêtons plus attention (ou intérêt). Les pratiques de cette évaluation notatoire « vont de soi », elles s’imposent à nous plus que nous ne les imposons aux autres. Elles saturent de façon monotone le temps scolaire, nos échanges et les propos de nos élèves. Et pourtant, nous sommes insatisfaits, nous ne sommes point en accord entre nous, nous constatons des discordances évidentes entre nos prétentions objectives tellement subjectives !. Assurément, nous avons tous besoin de travailler sérieusement sur la variété et la validité des modes, des pratiques et des ressources d’évaluation pour sortir des démesures de la notation.
Evaluer peut rendre fol !
De tels constats nous font toucher du doigt un conflit professionnel vécu par chacun d’entre nous, mais aussi éprouvé par notre institution, collège, lycée. Accumuler des « notes », en sur-abondance, et sans rétrospection atteste que nous cherchons toujours quelque part à nous rassurer. Nous agissons tels des chauve-souris qui dans l’obscurité émettent des faisceaux continus d’ultra-sons pour appréhender les réalités diverses qui se présentent à nous. Finalement, nous sommes aveugles ; nous nous privons, ou pire, nous nous amputons d’autres « sens » ou techniques qui nous permettraient de mieux nous repérer.
Il nous faudrait faire ensemble la part entre la chimère de l’objectivité recherchée en évaluation et le paradoxe que l’évaluation n’existe que par la subjectivité. Il ne s’agit pas d’évacuer la subjectivité, mais plutôt de faire avec, en tout refus de l’arbitraire toujours endémique dans les opérations évaluatives.
Ainsi, nous pourrions par exemple nous appuyer sur les constats contrastés, contradictoires, de l’analyse faite par Jean Cardinet, en 2002, à a la suite celle de Jacques Weiss, en 1984 :
1- l’objectivité de l’évaluation est nécessaire : rendre plus explicite les objets et l’objectif de l’évaluation vaut tout autant pour l’évaluateur que pour l’évalué. C’est même une des conditions premières de l’évaluation.
2- L’objectivité de l’évaluation est souhaitée : car comment expliquer que des évaluations de mêmes réalités conduisent à des décisions différentes ? Les évaluations sont plus souvent rapportées à la personne qu’aux compétences.
3- L’objectivité de l’évaluation est impossible : malgré les programmes, les objectifs d’apprentissage sont différents selon les enseignants ; les performances évaluées sont différentes ; les conditions d’observation sont différentes ; les exigences sont différentes ; le sens de l’évaluation est différent selon les contextes.
4- L’objectivité de l’évaluation est à rejeter : une exhaustivité des critères, des indicateurs déboucherait sur une standardisation extrême : « le flou des échelles d’appréciation est le jeu de l’engrenage pour éviter que la machine ne se bloque » (Perrenoud, 1984)
Il importe, pour sortir de l’impasse, de consentir à : se concentrer sur des instruments permettant une interprétation clinique, partager des banques d’items étalonnés, favoriser des portfolios, et… donner du sens à l’observation, ensemble mais subjectivement et en « méta-cognition » de nos procédures personnelles.
La subjectivité est nécessaire, si elle est prudente et réflexive.
Nous pouvons donc nous autoriser ensemble à réintroduire et travailler avec notre subjectivité ; non pour être « sujet » mais bien acteur et responsable de nos actes, « auteurs » même de supports favorisant la clarté.
En guise d’exergue, nous allons alors nous appuyer sur la définition de J. M. de Ketele (1989) : évaluer implique :
recueillir un ensemble d’informations suffisamment pertinentes valides et fiables
examiner le degré d’adéquation entre cet ensemble d’informations et un ensemble de critères adéquats aux objectifs fixés au départ ou ajustés en cours de route
en vue de prendre une décision évaluative, il nous revient par suite de réfléchir sur le choix du type de décision et de l’objectif de l’évaluation
Prenons l'exemple du ressenti dans nos habitats et salles de classe (en hiver, d'actualité)
D’abord, identifier le type de décision qui pourrait être prise au terme de l’évaluation :
Soit : Sanction positive o Sanction d’attente o Sanction négative o
| Ou bien : éclaircissement o Encouragement o Orientation o
| Ou encore : Certification o Classement o Sélection o
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La détermination de l’objectif est souvent partagé, flou ou …subjectif.
En toute hypothèse, jetez un coup d’œil sur le « triangle des objectifs de l’évaluation ».
Si vous aimez vous déplacer à deux dimensions sur un triangle, ne serait-ce même qu’une pyramide, vous pouvez aller jeter un coup d’œil sur le « triangle pyramidal » que nous vous proposons à propos des relations entre des objectifs multiples, se traduisant en fait non seulement d’évaluation et d’appréciation, mais de mesures, voire de certification, d’orientation.
A noter, en lisant bien ce triangle, que tout ce qui est en dessous des pointillés signifie des visées et des procédures qui peuvent être quotidiennes, en continuité ; avec patience et même insistance. Cependant, que ce qui est au dessus des pointillés, avec des mesures, des certifications, des classements, aboutissant par la notation à la sélection, n’a de sens qu’à terme : après un temps prolongé d’enseignement et de mesure quotidienne d’évaluation.
Prenons appui sur le « socle commun »
Les compétences désignées pouvant être revues dans les pages qui suivent, notamment en ce qui peut inspirer notre façon de traiter la compétence dans la progression des élèves par des critères adéquats, des formes variées qui peuvent être d’inventaire ou check-lists brèves, de questionnaires, de formes interrogatives aussi bien que dans la correction de copies demandées aux élèves dans les épreuves plus professionnelles, ainsi que dans les formes d’évaluation projective ou par tri.
La référence aux sept modes de présentation de l’évaluation peut permettre de traiter la variété des connaissances, capacités et attitudes citées dans la richesse du socle commun, en évitant le seul recours à une notation qui peut être abstraite sinon subjective, mal interprétable par les élèves.
La régulation des moyens pratiques consultables ci-après peut permettre de résoudre les difficultés d’harmonisation rencontrées dans la pratique lors de la mise en œuvre du « socle commun ».. Des difficultés tenant souvent à la disparité des profils d’élèves, mais aussi des potentiels identifiés, enfin des possibilités offertes, éventuellement attrayantes, des disciplines. Par exemple, se satisfaire de connaissances en vocabulaire (domaine 1), l’un se satisfait de 100 alors que l’autre de plusieurs centaines. Ou peut-il y avoir entre plusieurs enseignants une idée du socle qui pour certains se limitent à une centaine et pour d’autres estiment à plusieurs centaines ; en évaluation opératoirement différenciée.
Par la référence pratique et concrète, le risque d’excès et d’écarts dans l’application des données du socle aux élèves -réduire à l’optimum l’ensemble des exigences cognitives et actives - peut être conjuré d’une façon positive : en vu d’être accordé à chaque enseignant, à chaque discipline, mais aussi à chaque élève.
Avant de regarder du côté des exigences requises et des moyens concrets pour les atteindre, il peut être juste, au préalable, de réfléchir aux choix des critères et des indicateurs qu’il nous faut mettre en œuvre, selon les possibilités et de situations, et de voies d’évolution.
"Toute différenciation de l'enseignement appelle une évaluation formative, autrement dit une évaluation censée aider l'élève à apprendre. Sa conception reste très largement prisonnière de l'évaluation scolaire traditionnelle:
on accorde la priorité aux évaluations-bilans, alors que bien d'autres observations seraient pertinentes pour comprendre ce qui empêche ou ralentit l'apprentissage: interprétation des normes et du métier d'élève, méthodes de travail et d'apprentissage, rapport au savoir, identité et projet personnel, relations aux autres élèves et aux professeurs, conditions de vie, environnement familial, itinéraire de formation
On s'obstine à standardiser les évaluations formatives sur le modèle de l'équité formelle, qui ne convient qu'aux examens et aux procédures certificatives; on surcharge de tests critériés des élèves dont on voit, à l'œil nu, qu'ils progressent normalement, alors qu'on ne trouve pas le temps d'établir les diagnostics pointus et individualisés qui seraient indispensables pour intervenir judicieusement auprès des élèves en grandes difficultés.
On s'enferre dans un perfectionnisme et un formalisme tellement lourds que les enseignants ploient sous la charge et finissent par abandonner l'idée même qu'une quelconque évaluation formative soit possible.
On continue à faire coexister une évaluation formative qui exige la confiance et la coopération des apprenants et une évaluation sommative ou certificative qui les replace dans le jeu traditionnel du chat et de la souris, sans avoir le courage de différer fortement les décisions de certifications ou de sélection.
On s'arrête au diagnostic, on analyse les erreurs, mais sans lier immédiatement l'évaluation à des tentatives de régulation, dans un processus dynamique et interactif
On développe des pratiques d'auto-évaluation qui entraînent souvent à intérioriser le jugement du maître plutôt qu'à développer chez l'apprenant des capacités de métacognition et de régulation de ses processus d'apprentissage et de production, dans le sens d'une évaluation formatrice (Nunziati, 1990)
Avec d'autres, j'ai défendu le principe d'approche pragmatique de l'évaluation formative, entièrement ordonnée au souci de la régulation, ou plus exactement de l'autorégulation des apprentissages. Il importe également de ne pas séparer l'évaluation de la didactique et de parier sur des situations d'apprentissage stimulant l'autorégulation. "
extrait de Ph. PERRENOUD, La pédagogie différenciée, ESF, p. 48
Inventaire des possibilités de situations et de voies d’évaluation
Il est intéressant pour chaque enseignant de prendre connaissance, en un parcours rapide ou en s’attardant parfois, de cet inventaire (en forme de « clavier ») afin de saisir la multiplicité des situations ou voies d’évaluation qu’il peut emprunter ; nous pourrions ainsi éviter l’usure et la réduction consécutives à l’emploi de modalités trop habituelles.
Cet inventaire peut aussi attirer l’attention sur la pluralité des variables dont le professeur peut être tenté d’apprécier l’intensité ou l’émergence dans la voie ou situation choisie ou à choisir, inédit ou oublié, selon des critères et des stratégies adaptées sur lesquels nous reviendrons.
Bonne chance et bon choix ! Profitez des bonnes occasions et cochez doctement !
Quelle que soient les modalités concrètes que nous choisissons de mettre en œuvre, il nous faudra également réfléchir sur les choix des critères, des indicateurs et des stratégies, ainsi que l’adéquation entre indicateurs et critères adoptés.
Le choix des critères
Les critères d’appréciation de paliers ou de résultats atteints dans l’acquisition des connaissances, des capacités, des savoir-faire, d’attitudes dans l’activité scolaire peuvent être selon les cas et les objectifs de :
¨ Clarté
¨ Exactitude
¨ Soins
¨ Conformité
¨ Efficacité
¨ Efficience par rapport aux moyens
¨ Pertinence
¨ Cohérence
¨ Adhésion aux valeurs
¨ Originalité
Il est opportun de pouvoir renouveler nos choix nécessaires sur quelques critères non standards, selon quelques précautions, à condition qu’il soit :
¨ pertinents
¨ indépendants les uns des autres
¨ peu nombreux pour être réalisables
¨ pondérés
Le choix des critères, adapté à chaque travail d’élève, participe du processus d’évaluation (et non de contrôle), phase délicate et difficile, toujours subjective pour l’enseignant.
Le choix des indicateurs
Pour fixer à quels degrés d’intensité ou de qualité les critères sont atteints, l’évaluateur doit disposer de quelques indicateurs, dont l’application sur :
¨ les faits, à constater
¨ les représentations
offrira des indications quantitatives (du genre %) ou qualitatives (du genre platonique bien, bon, juste, vrai , mais aussi passable)
Le choix de la stratégie
Nous pensons pouvoir seulement évaluer par des devoirs, des interrogations et des contrôles. Mais il importe de pouvoir enrichir nos façons de faire grâce à une variété de méthodes de recueil d’informations : interview, sur questionnaires, par étude documentaire, par observation, sur des graphiques ou tris, par métaphores ou significations. On pourra tapoter sur le « clavier » ou inventaire des instruments d’évaluation.
Il faut bien sûr d’abord s’assurer de la validité et de la fiabilité de la stratégie à l’objectif visé et aux personnes concernées.
Enfin, un retour sur l’examen de l’adéquation entre indicateurs et critères. La question du sens au terme de l’évaluation exprimée. En celle-ci, l’évaluateur donne du sens au processus (comme le juge devant des faits similaires) ; et il le fait dans la conscience responsable de la subjective. Comme on vient de le voir, la subjective implique des prises de choix, obtenus et exprimés dans la clarté, mais en « loyale subjectivité ». Et c’est parce qu’il y a subjectivité qu’on peut alors parler d’évaluation.
Reconnaissons que le problème de la plupart des évaluations n’est pas leur subjectivité, mais le flou dans lequel elles se déroulent. Soyons clairs et éclaircissons, mais en nous gardant d’être péremptoires et définitifs. Nous ne faisons pas de jugement. Nous donnons des indications de repérage et des stimulations positives.
Pourrions-nous mettre d’abord sur le fait qu’une évolution professionnelle de l’évaluation requiert cinq compétences[2]
des compétences théoriques en évaluation
des compétences méthodologiques :
des compétences en ingénierie pédagogique
des compétences sémiotiques
des compétences éthiques
Et aussi, elle demande trois attitudes :
POUR ALLER PLUS LOIN
la page Evaluation pour les apprentissages (Muller)
un livre de 200 pages numérique et interactif (Prezi) https://prezi.com/fbn4fsgi1qys/evaluer-pour-les-apprentissages-ca-marche/
[1] L’évaluation, règles du jeu, Charles HADJI, 1989
[2] D’après Anne JORRO
Quelques exergues
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La musique du jour
Un post extrait d'une série dédié à l'évaluation
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