C’est pourquoi il devient intéressant de s’attarder quelque peu sur une situation exceptionnelle, inédite, où la « table rase » n’a pas été le fait d’une « émotion » (dixit XVIIème siècle) populaire ou révolutionnaire, mais la conséquence d’un fait naturel catastrophique, le tremblement de terre de Christchurch en Nouvelle-Zélande au printemps 2011.
Catastrophe en grec a du sens: c’est mettre dessus-dessous. Quand tout est dévasté, par terre, bâtiments, infrastructures évidemment, mais aussi structures de commandements, réseaux matériels et immatériels, il faut donc tout reconstruire. Oui, mais comment ? Et derrière le « comment », c’est le « pour quoi » qui jaillit; il faut assumer cette question, la faire rouler, la partager au risque de tout faire comme « avant »; et de signifier que plus cela change, moins cela change.
Shaking up Education (bouleverser l’Éducation)
J’avais rencontré en 2011 lors du séminaire « créativité » à Hamilton des collègues enseignants de Christchurch, démunis en tout bien matériel et en toute structure scolaire, s’impliquaient pour leurs élèves, pour que tout vive et revive, dans l’invention d’une Ecole où on apprend. Quand les murs tombent, qu’est-ce l’Ecole ?
En septembre 2011, un groupe Shaking Up Christchurch Education (SUCE) se mobilise, coordonné par Cheryl Doig, consultant de CORE-EDU, pour créer une vision pour l’avenir d’études dans la ville, en tentant de penser l’alternative ‘au retour’ à leurs sites originaux et la reprise de leurs routines normales. C’est une occasion unique de repenser l’éducation à un niveau systémique, de mise sur des expériences nouvelles, et aussi de proposer à l’échelle locale des dispositifs à échelle mondiale.
Le groupe SUCE a mis en ligne et à notre disposition les premiers éléments de leur travail: il me semble intéressant d’en livrer quelques extraits, en en reprenant esprit, termes et formalisation.
Une approche globale et système de l’Education dans son territoire
Le groupe s’interroge d’abord sur les facteurs qui influent et conditionnent le fonctionnement de l’Ecole, et sur les modalités et processus: non seulement les ressources physiques, mais aussi les ressources humaines, le degré d’équipement technologique, la conception des écoles, ou encore (et surtout) le mode de gouvernance, tout en prenant en compte la dimension de la communauté à supporter budgétairement ces transformations.
Cette approche système a été aussi fondée sur un mode large de consultation des personnels et des acteurs pendant tout l’été, un processus toujours ouvert, nettement affiché dans leur conclusion: « In a networked world, the power is in individuals working together to co-create the future. It is a time for taking action. Education is a key driver in the recovery of our city – let’s make it extraordinary. »
Dans un monde en réseau, le pouvoir réside dans le travail collectif des individus, à créer ensemble le futur. Il est temps de passer à l’action. L’Education est la clé qui conduit à la restauration de notre Cité. A nous d’en faire quelque chose d’extraordinaire ».
Plusieurs facteurs conditionnent le futur en NZ (et seulement la NZ ?):
– le vieillissement de la population: qui travaillera ? Qui paiera les impôts ?
– l’accroissement de la diversité ethnique: quels seront nos collègues, nos voisins ?
– la répartition de la population: où vivront les personnes ? Sera-ce une répartition mixte urbaine/rurale ? Quel mode d’habitat sera privilégié ?
– le fait migratoire : peut-on lutter contre la fuite des cerveaux ? Quel sera l’impact en cas de changement de flux migratoires ?
– la mutation des emplois: quels seront les besoins en emplois manuels ? Est-ce que l’agriculture restera le fer de lance de notre économie ? Qu’en sera-t-il du chômage des jeunes ?
– La question « sociale » : serons-nous capable de diminuer les troubles qui touchent les enfants (pauvreté, abus, santé) ? Qu’en sera-t-il des questions de violence et de suicide chez les jeunes ?
– Les nouvelles technologies: quelles seront leurs évolutions et comment devons-nous nous adapter ? Quelles en sont les implications sociales, légales mais aussi éthiques ?
– développement durable: serons-nous capable de supporter notre économie, notre bien-être, notre environnement ?
Ces facteurs « sociétaux » sont à prendre en compte dans un système d’éducation NZ qui affiche clairement des objectifs ambitieux du XXIème siècle dans l’équivalent de notre « Socle commun ». Cependant, la région de Christchurch connait des difficultés scolaires avérées: en 2009, seuls 69,8 % des écoliers atteignent le niveau 2 du NCEA, les résultats des filles sont meilleurs que ceux des garçons. Mais seulement 47 % pour les écoliers maoris et 59,7 % des enfants « pasifika ».
He waka eke noa: A canoe where we are all in without exception Ministry of Education 2010 Statement of Intent – Karen Sewell, Secretary for Education
L’analyse de la réalité et des besoins, et d’abord des élèves, permet dans une deuxième phase d’inviter les acteurs à « imaginer »; nombreux témoignages sont donnés. Ils permettent ainsi de définir quelques principes fondateurs du système éducatif:
– il sera clairement orienté vers l’apprenance
– il sera centré sur le futur
– il sera structuré en un système cohérent
– il sera durable dans son fonctionnement et dans ses coûts
Une approche orientée « apprenance »
Le « learning » est un principe fondateur du système NZ (depuis 1989, nous l’avons déjà signalé); ici, à Christchurch, la « refondation » permet d’en avoir une déclinaison actualisée:
il implique les apprenants en tant que partenaires dans leur apprentissage
il intègre la dimension culturelle des apprenants
il crée et offre des occasions d’apprendre aussi variées qu’il est possible
il définit le rôle des enseignants en fonction des besoins des élèves
il fournit explicitement les résultats définis pour l’apprentissage des élèves
il encourage la participation des élèves dans une série d’expériences diverses, conçues en fonction de résultats exigés et selon des pratiques efficientes
il assure la réflexion individuelle et institutionnelle; l’action est suscitée et soutenue par les données relatives aux apprentissages des élèves et aux performances institutionnelles
il met l’accent sur l’apprenance des étudiants dans les processus de recrutement, d’embauche, d’orientation, d’évaluation et de développement personnel
il conserve son attention sur le « learning », qui est constamment repris dans les documents institutionnels, dans la politique éducative, dans les efforts collectifs et dans le mode de management.
il garde une vision à long terme, en en garantissant ainsi l’investissement
il bénéficie d’une forte adhésion de la communauté qui encourage les étudiants à prendre des risques, à essayer de nouvelles choses et à persévérer.
Il promeut une conduite au niveau de l’institution cohérente et alignée sur la mission apprenante de celle-ci.
L’Ecole du futur, c’est pour aujourd’hui
“Mo tatou, a, mo ka uri a muri ake nei –(Pour nous et pour nos enfants après nous)
Le deuxième principe structurant est d’organiser le « futur », selon plusieurs domaines:
– une vision du curriculum (ou du parcours) qui évolue en s’ajustant au contexte
– de nouveaux modèles de direction et de rôles
– de nouveaux modèles de gouvernance
– de ré-imaginer des lieux et des places pour apprendre
– de nouveaux rôles pour les enseignants (qui il est et ce que nous faisons)
– une vision renseignée sur le rôle des technologies
– de nouvelles façons de penser et d’apprendre
– soutenir un apprentissage tout au long de la vie
– développer des capacités mentales et de résilience afin qu’ils puissent répondre positivement au changement
Quelques développements suivent sur la politique éducative et sa prise en charge, de sorte à aboutir à la construction d’un modèle sous forme de HUB interreliés:
Le chantier reste en 2017 ouvert à Christchurch; faire en sorte que le « shake up » tellurique soit aussi un « shake up » sur la façon d’apprendre et d’organiser l’Ecole. Les propositions affluent et convergent sur l’intérêt et la nécessité de prendre appui sur une base très large, incluant d’évidence les élèves dans l’opération.
Apprendre de l’expérience de Christchurch
2017 – A l’épreuve des réalités et des choix politiques locaux et gouvernementaux, le plan de Shake up ne tient pas toutes ses promesses ; familles et équipes enseignantes n’ont pas toujours été associées aux projets de regroupement des écoles, de restructuration de la « carte scolaire » (dirait-on en France) et au plan des transports.
11 écoles ont fusionné pour créer cinq nouvelles écoles. Treize écoles ont été fermées, dont deux qui ferment volontairement leurs portes. Les familles ont dû faire face aux coûts supplémentaires liés aux transports et aux préoccupations concernant la conception de nouveaux espaces d’apprentissage, alors que le personnel de l’école s’inquiétait de la sécurité d’emploi. 68% n’étaient pas satisfaits du niveau de communication des fonctionnaires et du gouvernement. 58% ont estimé qu’ils ne pensaient pas avoir reçu les ressources appropriées à la suite de l’annonce.
La principale leçon : l’impact sur les enfants a été sous-estimé, en fonction d’experts en psychologie. – Le ministère aurait dû examiner plus attentivement les effets du stress vécu par le personnel de l’école de stress et les directeurs.
Faisons en sorte que notre organisation devienne « apprenante », que le territoire de Guadeloupe dans les composantes variées de sa population devienne « apprenant » avec l’aide de ses représentations politiques, institutionnelles, de ses forces vives.
photo prise sur le bateau en Guadeloupe, 2016, uniforme d’un collège.
Sources :
Groupe facebook : https://www.facebook.com/Shaking-Up-Christchurch-Education-237629182954820/?ref=nf
http://www.stuff.co.nz/national/education/82053224/education-ministry-admits-start-of-christchurch-schools-shakeup-not-handled-well
Comment accompagner des élèves en deuil, dossier pdf, académie de Rouen, 2004,
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