Jacques Villeglé, Rue Michel Le Comte, septembre, 1980, affiches lacérées marouflées sur toile, 131 x 133 cm ©galerie Georges-Philippe et Nathalie Vallois, extrait de https://www.connaissancedesarts.com/artistes/visites-atelier/jacques-villegle-lart-dans-la-ville-ou-lesthetique-de-la-dechirure-11174198/
un post de la mini-série dédiée aux outils de l'enseignant
Les enseignants passent un temps certain à fourbir leur arsenal, à « préparer le cours » (ou « la classe » pour reprendre leurs mots). Les conjoints d’enseignants le savent bien. Comment passer le degré de l’artisanat pour devenir expert en ingénierie pédagogique, ce qui n’interdira pas le bricolage ? Quels sont donc les points communs entre les pots de yaourt de l’institutrice de maternelle et le tableau de bord de l’enseignant ? D’où viennent ces bricolages qui font le quotidien, et souvent les soirées des collègues ?
UN MÉTIER SANS MÉMOIRE ? LA VERSION OBSCURE DE L’INVENTEUR
Je passe un temps fou à préparer mes supports de cours, même après dix ans d’exercice.
Proald, rédacteur du blog « prof à la dérive(1) », consacre un post sur sa situation au tout début de sa carrière : « Le temps était compté, car chaque semaine représentait pour moi un nouveau cours, et je devais trouver à “manger” aux élèves, sinon c’était la débâcle qui me guettait. Chaque cours à venir se présentait à moi comme un compte à rebours. J’ai commencé par récupérer des informations sur Internet, mais également les cours des élèves redoublants. Il a fallu retravailler le tout, et contrairement aux dires des personnes extérieures, j’y ai passé de nombreuses heures. »
Il y a bien des « bonnes » raisons de bricoler(2) dans le métier, voire de « bricoler » le métier tout court, c’est-à-dire construire ses propres outils et finalement ses propres actes professionnels par tâtonnement expérimental ; cela pourrait sembler inattendu pour des personnels désormais recrutés au niveau ingénieur. La démarche peut s’apparenter à une recherche alchimique supposant un objectif, une règle, du matériel et un mode d’animation. Il s’agit d’un processus d’innovation engagé à chaque fois avec la même concentration d’attention et de création. Faudrait-il pour eux aussi à chaque chantier, à chaque ouvrage d’art, tout réinventer ? Comme pour un médecin, conviendrait-il (ou encore l’accepteriez-vous ?) qu’il refasse l’histoire de la médecine avant de vous prodiguer quelques soins ? Par transposition, c’est pourtant ce qui se passe pour Proald.
On pourrait arguer par exemple la rareté relative des documents et maté- riels disponibles sur le marché ; les réseaux d’échanges, Viaeduc(1) notamment, et Internet jouent leur rôle compensatoire de banque de données pédagogiques et d’espaces de mutualisation comme jamais aucun institut ne l’avait finalement fait. L’excellent côtoie l’exécrable (certains forums ne sont qu’une amplification de propos de comptoirs).
Lorsque ces documents existent, Proald est confronté à un dilemme : faire son choix entre une simple piste (faire une enquête, traiter un thème pluridisciplinaire, utiliser l’actualité, pratiquer la correspondance scolaire, etc.) et une activité complètement structurée, qu’il suffirait de reproduire sans rien inventer. On mesure aussi la limite des kits ou des valises pédagogiques largement proposés dans le primaire ou des scenarii pédagogiques de certains sites disciplinaires.
Le débutant accentue aussi une composante inhérente au métier : un certain individualisme, qui le conduit à réinventer personnellement ce que d’autres ont probablement déjà expérimenté ailleurs. Il est dit que les amnésiques n’ont pas d’avenir. Un métier sans référents ni ingénierie n’est plus un métier tout court ; Proald, comme nombre de ses jeunes collègues, connaît ce type d’errance, sans doute nécessaire, pour apprendre sur lui, comme sur ses élèves.
1. Blog « Prof à la dérive », http://prof-a-la-derive.over-blog.com.
2. D’après P. Perrenoud, sur le site Life de l’université de Genève : www.unige.ch/fapse/ SSE/teachers/perrenoud/php_main/php_1983-1983_01.html
3. Viaeduc est le réseau social professionnel des enseignants, initié avec Canopé depuis 2013 (après l’expérimentation de RESPIRE) ; en 2021, il compte 90 000 contributeurs ; et vous ? http://viaeduc.fr
Réinventer un processus de recherche d’efficacité, la version « claire » du métier
Pourtant, réfuter le bricolage reviendrait à ne pas comprendre l’épistémologie, c’est-à-dire la construction même de la pratique enseignante. Pour les maîtres, la réinvention d’activités et parfois du matériel associé contribue à l’enrichissement et à l’appropriation personnelle du rôle professionnel(1). Le bricolage renvoie à un arrangement, provisoire, ajusté à une situation jugée d’urgence : il manifeste justement la prise de métier et la réduction de l’écart entre un idéal d’exemplarité fait de modèles fantasmés ou encore de reproductibilité des pratiques (cf. l’expression piégeuse de « bonnes pratiques ») et le travail réel en prise sur l’apprentissage de ses élèves.
« L’enseignant bricoleur », en inventant, ou en façonnant lui-même l’activité pour mieux l’investir, sort de la simple consommation de moyens d’enseignement ; rien ne sera aussi adapté à sa progression, au niveau de ses élèves. Pour des enseignants plus expérimentés, cette dimension se retrouve car il est un choix de travailler aussi souvent que possible à partir des propositions et des intérêts des élèves, de ce qui leur arrive, de leur environnement proche (le fameux « vécu ») et des projets qui s’élaborent au sein du groupe-classe. La différence se joue ailleurs : la compétence du bricoleur sera pertinente et enrichissante si elle s’accompagne d’une connaissance plus approfondie de son « genre » et de ses « outils »; elle sera vaine et épuisante pour une personne sans appuis ni ressources complémentaires, ni réflexivité.
Bonus Web ☛ Et vous, quel est votre réseau ? Celui qui vous donne de l’information régulière et adaptée à vos goûts, aux envies ou aux besoins de vos élèves, celui qui vous permet de découvrir d’autres « mondes » (voir le chapitre sur le travail en équipe). Dis-moi quel est ton réseau, je te dirai qui tu es.
1. Voir Nicolas Sembel , « Être prof », Recherches & éducations, n°10 / 2005, http://rechercheseducations.revues.org/index367.html
Bricoler et afficher ses outils d’enseignement
Mis à part mon autorité « naturelle » et le manuel, je me trouve démuni en termes d’outils.
Il serait vain de proposer un panorama des possibilités infinies en créativité. Je vous propose donc un focus sur trois approches, du reste complémentaires : les affichages, l’approche par le jeu et la méthode heuristique. La fabrication d’un tableau de bord de l’activité en sera la conclusion très provisoire.
(suite demain)
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